Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embarras dans un moment où il a assez de peine à se faire écouter, à garder sa modeste place dans les conseils des puissances du monde.

Les affaires de l’Europe, il est vrai, ne sont pas aujourd’hui bien actives, quoiqu’elles ne soient pas à l’abri des complications et des incidens; elles se ressentent plus ou moins des vacances. Cette année comme toutes les autres années, les puissans du monde voyagent ou vont se réconforter dans les stations thermales. Le vieil empereur Guillaume est arrivé encore une fois à Gastein avec une santé qui s’affaisse sous le poids de l’âge ; l’empereur François-Joseph est à Ischl. M. de Bismarck, selon sa coutume dans la saison d’été, est à Kissingen, où il attend, en prenant ses eaux, les visites qu’on veut lui faire. Le chancelier d’Autriche, le comte Kalnoky, est déjà allé passer quelques jours auprès du chancelier allemand, et comme toutes les autres années, on s’est hâté de scruter, d’interpréter cette entrevue nouvelle dont les deux chanceliers ne se croient pas obligés de dire le secret. De quoi ont bien pu s’occuper M. de Bismarck et M. de Kalnoky dans ces entretiens mystérieux de Kissingen, qui ne sont vraisemblablement que le prélude d’une entrevue des souverains eux-mêmes? Qu’ont-ils décidé dans leurs colloques intimes? Ce qui est certain, c’est que les deux chanceliers ne se sont pas rencontrés pour rien ou uniquement pour leur plaisir, que leurs conversations ont dû avoir nécessairement pour objet et pour conclusion de maintenir, de resserrer l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche. Ce qui est bien clair aussi, c’est que le chancelier de l’empereur Alexandre III, M. de Giers, n’était pas à Kissingen, qu’après s’être fait annoncer en Allemagne, il a ajourné son voyage, et que la Russie, par ses actes, par sa diplomatie, tend visiblement à prendre un rôle à part en jetant une note non pas précisément discordante, encore moins menaçante, mais indépendante dans le concert des puissances. La Russie ne se sépare pas de ce qu’on appelle l’alliance des trois empereurs, l’alliance de Skierniéwice et de Kremsier ; elle prend une position particulière et elle suit sa politique à sa façon.

Depuis quelques jours, en effet, coup sur coup, dans le silence de l’Europe, la Russie a pris la parole par deux de ces circulaires toujours calculées pour avoir un certain retentissement. L’une de ces circulaires a trait aux événemens qui depuis un an ont agité les Balkans et transformé la Bulgarie. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’a point évidemment pardonné au prince Alexandre ; il garde ses ressentimens toujours assez vifs, et il a saisi l’occasion des dernières élections bulgares, de la réunion d’une assemblée nouvelle à Sofia, des velléités ambitieuses du prince Alexandre de Battenberg, pour résumer et préciser ses griefs contre tout un ensemble de choses que la Russie voit