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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/75

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Cependant il a toujours quelques hésitations, quelques doutes ; il ne veut pas croire trop vite ; il a peur de se laisser abuser par quelque illusion de son esprit et s’empresse d’ajouter, avec Nisus :


An sua culque Deus fit dira cupido ?


Tandis qu’un chrétien se fierait facilement à ces avertissemens du ciel qui se révèlent à son âme pendant le repos de la nuit ou dans l’exaltation de la prière, lui, demande des preuves matérielles de l’intervention des dieux ; il veut qu’ils se montrent, qu’ils se dévoilent par quelque signe manifeste, irrécusable ; et même un seul signe ne lui suffit pas : dans les choses divines, il est à la fois si important de voir clair et si aisé de se tromper ! Voilà pourquoi, selon Servius, un Romain ne se contente pas d’un premier auspice, et attend, pour se décider, qu’il soit confirmé par un autre : non unum augurium ridisse sufflcit, nisi confirmetur ex simili. Si les dieux veulent qu’on ait confiance en eux, ils feront bien de s’y reprendre à deux fois. Dans l’Énéide, le bon Anchise, qui vient de voir la flamme envelopper la tête d’Ascagne sans brûler ses cheveux, ce qui est pourtant un fait très extraordinaire, ne se rend pas à ce premier prodige ; il demande à Jupiter de l’appuyer par un second :


Si pietate meremur,
Da deinde auxilium, Pater, atque hæc omina firma,


et Jupiter a la bonté de répondre par un coup de tonnerre qui retentit du côté gauche, ce qui ne peut plus laisser aucun doute sur la volonté des dieux. C’est d’après les mêmes croyances et les mêmes scrupules que Constantin ne se contente pas de l’apparition, en plein jour, de la croix miraculeuse et que, pour être convaincu, il attend un signe nouveau. Je trouve, dans la manière dont ces prodiges nous sont racontés, une couleur païenne qui ne permet guère de penser qu’ils soient nés dans l’esprit de l’évêque de Césarée. Je suis donc tenté de croire, en supposant qu’ils n’ont rien de vrai, qu’ils ne sont pas de son invention et, s’il faut trouver un coupable, j’avoue que je déchargerais Eusèbe pour accuser Constantin.

C’est la seule observation que je veux faire à ce sujet. Les miracles qu’Eusèbe est si heureux de rapporter doivent toute leur importance à l’attrait que le merveilleux exerce sur les esprits et à cette sorte de besoin que nous éprouvons d’environner de prodiges les grands événemens de l’histoire. En réalité, la conversion de Constantin s’explique sans eux : pour s’en rendre compte, il suffit