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amours, que pour les matières politiques que traitaient ceux ci, si le sujet du colloque lui échappa, elle comprit pourtant très bien qu’il avait été question, dans le conciliabule, de son galant. Latréaumont avait insisté pour qu’on éloignât Du Cause, qu’il avait aperçu, et qui lui inspirait une légitime défiance. Elle courut, tout éperdue, retrouver Du Cause et lui raconta que Latréaumont, ce méchant Gascon, comme elle l’appelait, voulait le faire partir de la maison. Après une de leurs conférences, les conspirateurs avaient laissé, un jour, sur la table de la chambre où elle s’était tenue, un petit livre dont Marianne s’empara et qu’elle alla porter à son galant. C’était un alphabet pour servir à mettre en chiffre des dépêches. Il y avait là un nouvel indice qu’il se machinait, chez Van den Enden, un complot contre l’état, et la demande de Latréaumont montrait assez qu’il avait quelque crainte d’être découvert, puisqu’il se défiait d’un inconnu, tout au moins d’une personne qu’il ne pouvait connaître que de vue, pour l’avoir rencontrée à l’armée. Capable de tout, comme le savait Du Cause, Latréaumont était homme, estimait celui-ci, à lui faire un mauvais parti. En proie à ces appréhensions, le jeune officier s’imagina qu’on pourrait venir, la nuit, l’assassiner ; il changea de chambre avec un jeune Breton et prit soin, chaque soir, quand il se couchait, de fermer hermétiquement sa porte et de tenir ses armes prêtes. Il évitait de manger ailleurs qu’à la table de Van den Enden.

Cependant rien ne refroidissait sa curiosité pour savoir en quoi pouvait consister la conspiration qui se tramait. Il se montra plus assidu que jamais près de Marianne, uniquement afin d’en tirer des informations sur ce que faisait et disait son père. Il revenait très fréquemment, dans ses conversations avec celui-ci, sur les affaires du temps, et ne manquait pas de s’apitoyer sur le déplorable état où la guerre contre la Hollande allait mettre ce noble pays. Van den Enden continua à donner dans le piège ; il renouvela ses plaintes amères contre la conduite de Louis XIV, ses observations sur la position difficile où se mettait le monarque et sur les avantages que pourraient s’assurer les Hollandais ; il lâcha des paroles qui trahissaient les projets des conjurés. Au début, il avait gardé quelque réserve dans ses attaques contre Louis XIV ; maintenant il le blâmait sans mesure, il déclarait que la guerre qui se faisait violait le droit des gens, qu’elle n’avait été entreprise par le monarque français que pour se venger des discours et de l’insolence de quelques particuliers, qui, pour reproduire les propres expressions de Van den Enden, « avaient, par un génie trop hardi, répandu des satires contre le roi; mais que,