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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/77

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étincelans, des armes qui jetaient des éclairs, et que le divin Constance Chlore menait au secours de son fils. » Ainsi les païens et les chrétiens étaient convaincus qu’il s’était produit quelque miracle à ce moment critique, et chacun tirait le miracle de son côté[1]. Quand le sénat de Rome voulut élever à la gloire de l’empereur un arc de triomphe qui existe encore près du Colisée, pour ne pas se compromettre et contenter les deux religions à la fois, il fit graver sur le monument une inscription qui disait que Constantin avait obéi à l’instigation de la divinité : Instinctu divinitatis. Chacun pouvait interpréter le mot à sa façon ; les chrétiens par divinitas entendaient le Christ, les autres Jupiter ou Apollon, mais tous s’accordaient à penser que l’empereur devait sa victoire à la protection d’un dieu.

Constantin en doutait moins que personne, et cette unanimité même affermissait sa conviction. Tandis que les évêques n’hésitaient pas à le proclamer l’instrument de la providence et montraient « que Dieu prenait la peine de se révéler à lui pour lui dévoiler les projets de ses ennemis, » il entendait des rhéteurs païens lui dire, au nom de ces écoles qui furent un des derniers foyers de l’ancienne religion, qu’on ne peut pas douter qu’il ne soit l’objet de la protection céleste : Quis est hominum quin opilulari tibi Deum credat ? Ce qu’on lui répète ainsi des deux côtés, il est naturel qu’il le croie fermement. Un Dieu le protège, tous les cultes le reconnaissent, seulement il n’hésite pas pour savoir et pour déclarer quel est ce Dieu qui est venu si à propos à son aide, quand il allait combattre Maxence, et qui, depuis lors, ne cesse de veiller sur lui ; c’est le Dieu des chrétiens, et il ne manque aucune occasion de lui rendre hommage et de rappeler ce qu’il lui doit. Presque au lendemain de sa victoire, il écrit au gouverneur de l’Afrique que les événemens lui ont appris « que ce Dieu punit sévèrement ceux qui outragent son culte et qu’il comble de prospérités ceux qui le servent. » Voilà ce qu’il redira, presque dans les mêmes termes, jusqu’à la fin de ses jours. Après la défaite de Licinius, quand il est devenu le seul maître de tout l’empire, il sent le besoin de développer le même thème à ses nouveaux sujets, et, pour lui donner plus de force, il cite son exemple ; il fait voir comment « Dieu l’a pris par la main pour le conduire des rivages de la mer de Bretagne et des pays où le soleil se couche jusqu’aux extrémités de l’Orient. » C’est ce qu’il répète, sans jamais se lasser, aux païens, aux hérétiques, aux schismatiques de son empire, quand il essaie de les convertir. Vers la fin de sa vie, écrivant au roi de Perse,

  1. C’est ce qui était arrivé déjà pour le miracle de la légion fulminante, dont il existait une version païenne et une version chrétienne.