Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/778

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devaient plus se revoir. Au moment où Van den Enden allait être conduit dans son cachot, il fit à sa compagne les plus tendres adieux et lui donna de sages conseils pour elle et sa famille. Pendant le trajet jusqu’à sa prison, il ne laissa échapper aucune plainte, ne manifesta aucun signe d’inquiétude. Quant à sa femme, Catherine Medaëns, qui fut enfermée dans une autre chambre à la Bastille, elle ne cessa de protester de son innocence et affirma toujours, — ce qui était vrai, — qu’elle ne savait rien du complot[1].

Les principaux prévenus étant sous la main de la justice, l’instruction du procès commença. Un seul des coupables était défaillant, mais c’était précisément celui qui avait été le véritable instigateur du complot, Latréaumont, qui n’existait plus. Suivant la procédure du temps, on nomma un curateur à sa mémoire, qui, par une Sorte de prosopopée judiciaire, était chargé de répondre pour le défunt. Aucun des parens de celui-ci ne s’étant offert pour s’acquitter de cette mission, l’autorité désigna un certain Jean de La Bruyère, bourgeois de Paris, âgé de trente ans, demeurant rue des Amandiers, paroisse de Saint-Étienne-du-Mont, et qui n’est pas l’auteur des Caractères.

On avait lancé, d’autre part, un mandat d’amener contre le chevalier d’Aigrement, alors à l’armée des Pays-Bas, où il apprit l’arrestation du chevalier de Rohan, comme il se rendait du camp de Labussière à Oudenarde. Il par la de cette affaire à deux de ses compagnons d’armes : MM. de Beauregard et de Tacoigne, aides-de-camp du maréchal de Luxembourg, leur raconta ce qu’il avait ouï dire à Mme de Villars, s’efforçant de présenter les choses de façon à n’être pas compromis. Quoiqu’il prétendît n’avoir pris la route de Paris que pour venir dénoncer au ministre ce qu’il savait, on l’arrêta à Arras et on le transféra à la Bastille. Dans ses interrogatoires, d’Aigremont chercha constamment à se disculper, nia une partie des faits à lui imputés et soutint qu’il n’avait pas pris au sérieux les confidences de Mme de Villars, qu’il donnait pour une visionnaire.

Deux commissaires furent nommés par le roi pour instruire cette grave affaire, MM. de Pommereu et de Bezons. L’instruction fut d’abord poussée activement; mais Louvois étant tombé malade, on sursit, pendant quelques jours, à la procédure, qui ne fut reprise qu’après le rétablissement du ministre. La besogne était lourde;

  1. Catherine Medaëns, dans son interrogatoire, déclara que, lorsque son mari partit pour la Flandre, il lui dit qu’il allait retirer de l’argent qu’on lui devait en ce pays-là et qu’il voulait amener Kerkerin, son gendre, s’établir en France; que, pendant son absence, celui-ci lui avait écrit trois fois et que les lettres lui avaient été remises par le fripier Lemarié.