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pêches, mures, diverses qualités de pommes, abourny, thelkhy, khekhy¸ et celles dites de Tripoli, à peau fine et dorée, qui sont douces, saines et parfumées, ni grosses ni petites, et les meilleures du Maghreb. Les arbres plantés à Merdj-Kertha, situé au dehors de la porte Beni-Messafar, produisent deux fois par an et fournissent en toute saison à la ville une grande quantité de fruits. Du côté de Bab-el-Cherky, de l’adaoua el-Kairouayn, on moissonne quarante jours après les semailles ; l’auteur de ce livre atteste avoir vu semer en cet endroit le 15 avril et récolter, à la fin du mois de mai, c’est-à-dire quarante-cinq jours après, d’excellentes moissons, et cela en 690 (1291 ap. J.-C.), année de vent d’est continuel et durant laquelle il ne tomba pas une goutte de pluie, si ce n’est le 12 avril. » Que serait-il donc arrivé si la pluie était tombée à foison, comme dans les années ordinaires ?

Cette merveilleuse richesse des jardins et des pâturages de Fès explique l’admiration qu’elle a inspirée aux poètes arabes. Peuple habitué à l’aridité des déserts, partout où ils rencontrent de l’eau, de la verdure et des fruits, les Arabes croient voir un fragment du paradis tombé par hasard sur notre globe. Ceux qui ont chanté Fès l’ont fait avec une ardente conviction. « O Fès, s’est écrié le docte et distingué Abou el-Fadhl ben el-Nahouy, toutes les beautés de la terre sont réunies en toi ! De quelle bénédiction, de quels biens ne sont pas comblés ceux qui t’habitent ! Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon âme? Tes eaux sont-elles du miel blanc ou de l’argent? Qui peindra tes ruisseaux qui s’entrelacent sous terre et vont porter leurs eaux dans les lieux d’assemblées, sur les places et sur les chemins? » Et un autre illustre écrivain, le docte et très savant Abou-Abd-Allah el-Maghyly, étant cadi à Azimour, a dit ce qui suit dans une de ses odes à Fès : « O Fès ! que Dieu conserve ta terre et tes jardins et les abreuve de l’eau de ses nuages ! Paradis terrestre qui surpasse en beautés tout ce qu’il y a de plus beau et dont la vue seule charme et enchante ! Demeures sur demeures aux pieds desquelles coule une eau plus douce que la plus douce liqueur! Parterres semblables au velours, que les allées, les plates-bandes et les ruisseaux bordent d’une broderie d’or ! Mosquée el Kairouayn, noble nom ! dont la cour est si fraîche dans les plus grandes chaleurs!.. Parler de toi me console, penser à toi fait mon bonheur! Assis auprès de ton-admirable jet d’eau, je sens la béatitude ! et avant de le laisser tarir, mes yeux se fondraient en pleurs pour le faire jaillir encore ! »

Cette ville si belle, au dire des poètes arabes, a cela de commun avec Rome, du moins à ce qu’affirme le proverbe, qu’elle n’a pas été bâtie en un jour. Sous la domination des Zénéta, elle fut considérablement