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de la rue. Il y en a parfois plusieurs l’un sur l’autre, et quand on regarde, d’une de ses extrémités, une rue s’allonger en s’amincissant, on dirait, à les voir s’étager en enfilade, une élégante galerie de mosquée. Les quartiers des bazars sont, il est vrai, plus variés. Là, des séries de petites boutiques, semblables, comme toutes les boutiques arabes, à de grandes armoires pratiquées dans les murs, ont de la couleur et de la vie, mais elles sont peu remarquables en elles-mêmes et la vulgarité des marchandises qui s’y étalent ne rachète pas la leur. Des petits auvens délabrés les surmontent, portant une ardente et souriante végétation. En passant à cheval, il faut se courber sans cesse pour ne pas renverser ces petits jardins suspendus ; ce serait un crime de détruire l’unique gaîté des ruelles monotones ! De gros pieds de vigne grimpent aussi de temps en temps contre les boutiques des bazars. J’en ai mesuré un qui n’avait pas moins de soixante-dix centimètres de tour, et dont les branches portaient en tous sens de larges feuilles vertes. On s’amuse à ces détails dans une ville que la nature a plus embellie que les hommes. Quelques grappes de femmes, apparaissant au sommet des maisons, sur les terrasses, comme des corniches multicolores ; quelques fleurs poussant sur les boutiques, sont à coup sûr ce qu’on y voit de plus joli, de plus frais, j’allais ajouter de plus décoratif.

J’exagère cependant ; car il y a deux choses admirables à Fès ; ce sont les fontaines et les mosquées. Malheureusement on n’entre pas dans les mosquées, et c’est là, paraît-il, que se trouvent les fontaines les plus parfaites. Il y en a pourtant un grand nombre d’autres qu’on ne se lasse guère de voir, soit dans les rues, soit dans les maisons particulières. Elles se composent généralement d’une vasque sans aucune originalité, disposée sous un arc tantôt en ogive, tantôt en plein cintre, tantôt en arc outrepassé, mais toujours fort élégant. Le fond de cet arc est tapissé d’une mosaïque de faïence, où se déploient tous les caprices ou plutôt tous les artifices de la décoration arabe. Les Marocains sont bien dégénérés ; cependant ils ont conservé une grande habileté dans la fabrication de ces mosaïques, dont ils combinent les dessins et les couleurs avec une adresse merveilleuse. Une inscription arabe, généralement noire sur fond jaune, sert de bordure. Au milieu, des tuyaux assez vulgaires laissent échapper l’eau. Mais ce qui, avec les mosaïques, contribue à faire des fontaines de Fès une œuvre d’architecture accomplie, ce sont les auvens qui les surmontent. Ils forment une toiture en bois découpé, reposant sur de petites poutres sculptées avec une délicatesse extrême, au-dessous desquelles tombent des pendentifs en ruche d’abeille, colorés des tons les plus variés. Tout cet ensemble est exquis, frais, harmonieux.