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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/823

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les quarante volumes de Bossuet des pensées générales et philosophiques comme celles de Pascal, des caractères comme ceux de La Bruyère, des maximes comme celles de La Rochefoucauld. S’il en était ainsi, ne pourrait-on pas affranchir Bossuet lui-même de la théologie et le présenter aux hommes de notre temps par un côté qui le rendrait plus accessible et plus persuasif? Au point de vue littéraire même, n’y aurait-il pas quelque avantage à séparer l’éloquence du dogme, car ce sont deux choses qui ne vont pas ensemble? Si vous lisez Bossuet en chrétien, et pour votre édification, vous ne devez pas faire attention à son éloquence, et Bossuet lui-même condamne souvent la curiosité littéraire dans ses auditeurs; si vous le lisez en littérateur et en critique, combien de pages où vous êtes incompétent, et, si vous voulez y entrer, indiscret !

Quelque spécieuse que fût la pensée que nous venons de résumer, il ne nous a pas fallu beaucoup de réflexions pour pressentir qu’elle était paradoxale, ni beaucoup de lectures de notre auteur pour nous convaincre qu’elle n’était pas vraie. Si l’on excepte, en effet, le livre tout théorique de la Connaissance de Dieu et de soi-même, et la troisième partie du Discours sur l’histoire universelle, tous les autres ouvrages de Bossuet (même ses lettres) sont des œuvres essentiellement et exclusivement chrétiennes. Ses chefs-d’œuvre d’éloquence (oraisons funèbres, sermons, panégyriques) sont des œuvres de prédication, et ils n’eussent pu avoir les agrémens que nous cherchons sans manquer au devoir essentiel de la prédication, qui est de faire sentir Jésus-Christ partout. Même ses oraisons funèbres, les plus mondaines d’entre ses œuvres, sont encore au fond des sermons, et sont remplies d’un bout à l’autre de l’esprit chrétien et même de l’esprit catholique. Les belles pages sur la révolution d’Angleterre, sur Cromwell, sur les sectes anglicanes, sont une apologie du catholicisme ; les peintures si vives de la cour dans l’oraison d’Anne de Gonzague sont la préparation à sa conversion, qui est le vrai sujet de Bossuet ; les grands exploits du prince de Condé ne sont là que pour donner du relief à sa piété. C’est nous, profanes, qui intervertissons l’ordre des choses, qui ne lisons que la première partie de chaque discours, sans aller jamais jusqu’à la fin, qui cherchons de belles périodes sans penser jamais à notre salut. Mais Bossuet a voulu tout le contraire : il le dirait lui-même s’il prenait la parole et s’indignerait de nous être lui-même une occasion de pécher. Ses sermons, encore plus que ses oraisons, sont des œuvres toutes chrétiennes. Ils sont tout imprégnés de l’écriture, et l’on y trouverait autant de lignes extraites des livres saints que sorties de la plume de Bossuet. D’autres prédicateurs, Bourdaloue, par exemple, n’ont pas craint des descriptions