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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/833

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résister et contredire pour céder plus agréablement... Pendant que nous triomphons d’être sortis des mains d’un flatteur, un autre nous engage, parce qu’il flatte d’une autre manière. » Malgré ces charmes si brillans, la cour est un lieu de servitude sous les apparences de la liberté ; « Ils nomment liberté leur égarement, comme les enfans qui s’estiment libres lorsque, s’étant échappés de la maison paternelle, ils courent sans savoir où ils vont;., ils s’enchaînent volontairement dans une chaîne continue de visites, de divertissemens, d’occupations diverses; ils ne se laissent pas un moment à eux parmi tant d’heures qu’ils s’obligent à donner aux autres. » Anne de Gonzague avait vu de près ce paradis de la cour ; elle en avait connu toutes les ivresses ; elle en connut aussi toutes les déceptions. Elle avait plus que personne le don de réussir dans ce milieu compliqué ; elle se mêlait aux affaires comme aux plaisirs, et elle y excellait. Elle avait l’art de gagner les cœurs, « le don de concilier les intérêts opposés, et de trouver le secret endroit et comme le nœud par où on peut les réunir, — Que lui servirent ses rares talens?.. Quel fruit lui en revint-il, sinon de connaître par expérience le faible des grands politiques, leurs volontés changeantes ou leurs paroles trompeuses, la diverse face des temps, les amusemens des promesses, l’illusion des amitiés de la terre, qui s’en vont avec les années et les intérêts, et la profonde obscurité du cœur de l’homme, qui ne sait jamais ce qu’il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu’il veut, et qui n’est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu’aux autres. »


III. — LES PASSIONS ET LES VICES.

Du théâtre passons aux acteurs, et aux ressorts qui les font mouvoir, c’est-à-dire aux passions et aux vices qui se diversifient suivant les personnes et suivant les temps ; car chacun a « son péché favori, » et chaque âge a sa passion dominante. « Le plaisir cède à l’ambition, et l’ambition cède à l’avarice... L’amour du monde ne fait que changer de nom ; un vice mène à un autre ; il laisse un successeur de sa race, enfant de la même convoitise. » Les passions, comme le disaient déjà les anciens, sont « des servitudes. Nul ne fait moins ce qu’il veut que celui qui peut faire tout ce qu’il veut. » Les passions sont « des appétits de malades. » Elles sont encore de fausses divinités : « Cœur humain, abîme infini, si tu veux savoir ce que tu adores, regarde où vont tes désirs. Où vont-ils, ces désirs ? Tu le sais ; je n’ose le dire, mais de quelque côté qu’ils se portent, sache que c’est là ta divinité. » Bossuet voit très bien la