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délicat. La première pensée de lord Salisbury a été d’essayer de s’entendre avec lord Hartington pour réaliser, d’accord avec lui, l’alliance des conservateurs et des libéraux dissidens au pouvoir; et à défaut de cette combinaison qui n’a pas réussi, il n’a plus eu d’autre ressource que de former un ministère de pur torysme. Il s’est, en définitive, tiré d’affaire en homme habile et expérimenté. Sous le nom de sir Stafford Northcote, lord Iddesleigh, qui entre pour la première fois au foreign office, c’est évidemment le chef du cabinet qui garde la direction des relations extérieures de l’Angleterre. Parmi les autres choix les plus marquans sont ceux de sir Michael Hicks-Beach, qui devient secrétaire d’état pour l’Irlande, de lord Londonderry qui va comme vice-roi à Dublin, de M. Mathews, qui s’est tout récemment montré habile orateur dans une cause retentissante de divorce, et qui est appelé au ministère de l’intérieur ; mais ce qu’il y a certainement de plus caractéristique dans la combinaison nouvelle, c’est la position prépondérante faite à lord Randolph Churchill, qui devient chancelier de l’échiquier, leader des communes, prenant de haute lutte la place si longtemps occupée et illustrée par Disraeli. Avec lord Randolph Churchill, on est sûr que les affaires seront vivement et impétueusement menées; on peut craindre aussi les excès d’imagination et les intempérances d’une verve sarcastique qui s’exerçait dernièrement encore avec peu de mesure contre M. Gladstone.

Au demeurant, le ministère anglais réunit sans nul doute tout ce que le torysme peut donner de force et de talent, et le vrai problème pour lui est moins en lui-même que dans l’attitude que prendront lord Hartington, M. Chamberlain et leurs amis. Ce n’est pas au premier moment, ce n’est pas dans cette courte session toute de forme que les difficultés peuvent sérieusement apparaître. La question d’Irlande reste un lien entre les conservateurs et les libéraux dissidens qui ont fait cause commune dans les élections. Chose à remarquer cependant, lord Hartington ne s’est pas borné à décliner les offres de lord Salisbury ; il a tenu, en rentrant au parlement, à garder une position indépendante, à reprendre sa place non loin de M. Gladstone, comme pour mieux marquer que dans sa pensée la scission n’est que temporaire et spéciale. Il ne créera pas d’embarras au ministère, il le soutiendra même au besoin dans les affaires d’Irlande ; il entend, pour tout le reste, et il ne l’a pas déguisé, demeurer attaché au vieux parti libéral. Voilà le point noir pour le nouveau ministère, qui ne peut avoir une majorité suffisante qu’avec les unionistes et qui ne peut avoir l’appui de lord Hartington et de ses amis que sur cette question irlandaise qui reste l’éternelle plaie de l’Angleterre.


CH. DE MAZADE.