Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les langues, sciences et écritures, et de prophétiser, de connaître les étoiles, la vertu des plantes et des eaux, de prêcher si bien qu’ils convertissent les infidèles. — Qu’est-ce donc, père, dit Léon, que la joie parfaite ? — Eh bien ! quand nous serons à Sainte-Marie-des-Anges, trempés de pluie, percés de froid, couverts de boue, mourant de faim, nous frapperons à la porte ; le portier viendra tout en colère et dira : « Qui êtes-vous ? — Deux de vos frères. — Ce n’est pas vrai, criera le portier, vous êtes deux ribauds, deux vagabonds qui volent l’aumône des pauvres. » Et il nous laissera dehors à la pluie et au froid, et nous penserons avec humilité que ce portier nous connaît bien. Et si nous continuons à frapper et qu’il nous chasse avec un bon bâton noueux, en criant : « Allez-vous-en, méchans larrons, allez à l’hôpital : il n’y a ici pour vous ni souper ni lit ; » s’il nous prend par nos capuchons et nous jette dans la neige et que nous supportions tout cela en pensant aux souffrances du bien-aimé Jésus, frère Léon, voilà vraiment la joie parfaite. » Cette gaîté religieuse fut l’une des forces de son apostolat. Il charma ses frères, et ceux-ci, à leur tour, charmèrent l’Italie par la sérénité souriante avec laquelle ils accueillaient les grandes misères, les petites tribulations, et les humbles douceurs de la vie. Tout à l’heure, lui, chétif, il n’avait reçu dans un village que quelques croûtes de pain sec, tandis que frà Masseo, qui était, disent les Fioretti, « grand et beau de corps, » récoltait de bons morceaux de pain frais. On étale toute cette quête sur une large pierre blanche, près d’une source claire, au soleil, et saint François s’émerveille de la beauté du festin. « Mais, père, nous n’avons, dit Masseo, ni nappe, ni couteau, ni écuelle, ni table, ni maison, ni valet, ni servante. — Et pour quoi comptes-tu donc, réplique François, ces trésors que nous devons à la bonté de Dieu, cette belle pierre, cette eau limpide et ces morceaux de pain ? » Comme il avait toujours le cœur en fête, il n’aimait à voir autour de lui que des visages de belle humeur et ne permettait pas que l’on portât dans le chapitre aimable de ses mineurs les préoccupations chagrines du mea culpa. Il disait à un novice : « Mon frère, pourquoi cette figure triste ? As-tu commis quelque péché ? Cela ne regarde que Dieu et toi. Va prier. Mais devant moi et devant tes frères, aie toujours une mine saintement joyeuse ; car il ne convient pas, lorsqu’on est au service de Dieu, de montrer un air maussade et refrogné. » Et, dans la première règle, il fit de la joie une obligation canonique, au même titre que la chasteté ou l’obéissance. Les vrais franciscains doivent toujours être gaudentes in Domino et hilares. Il n’y a point de vallée de larmes dans la terre sainte de l’Ombrie.

Ils sont bien pauvres cependant, ils tendent chaque jour la main