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à lui, comme à un ami sur ; il leur parle avec un grand sérieux, et la légende ne doute point qu’elles ne lui répondent selon leur pouvoir. Un jeune lièvre qu’on a pris au lacet et qu’on lui apporte, se jette dans son sein, puis, remis en liberté, le suit pas à pas, à la façon d’un chien, jusqu’à la forêt prochaine. Une cigale qui s’égosillait sur la branche d’un figuier, près de sa cellule, appelée par lui, se pose sur sa main. « Chante, ma sœur cigale, et loue le Seigneur avec ton cri de jubilation. » Pendant huit jours elle revint à la même heure pour accompagner de son petit cantique la prière de François d’Assise. L’agneau, dont on lui a fait présent, entre derrière lui à l’église, s’arrête au même autel que lui, et, au moment de l’élévation, s’agenouille. Dans son désert de l’Alvernia, c’est un faucon, son voisin qui, chaque nuit, l’éveille à l’heure de vigile ; quand le saint est malade, l’oiseau attend, pour sonner l’office, que l’aube blanchisse les montagnes. Si un jeune garçon lui donne des tourterelles sauvages, il les apprivoise et leur fait de ses mains des nids dans les buissons, tout autour de sa communauté d’Assise. Thomas de Celano raconte qu’un jour, comme il prêchait au peuple en pleine campagne, les hirondelles firent un bruit si aigu qu’il dut s’arrêter ; il attendit patiemment quelque peu, et, comme elles criaient de plus belle, il leur dit : « Mes chères sœurs, c’est à mon tour de parler, car vous avez assez crié ; écoutez donc la parole du Seigneur et taisez-vous jusqu’à la fin du sermon. » Elles se turent, et n’osèrent pas s’envoler avant qu’il eût dit : Amen. Une autre fois, près de Bevagna, il prêcha tout exprès pour les petits oiseaux. «  Louez toujours et partout votre Créateur qui vous a donné l’air du ciel pour royaume, les rivières et les sources pour vous désaltérer, les montagnes et les vallées pour refuge, et qui vous donne de chauds vêtemens pour vous et vos enfans. » Les oiseaux, qui couvraient la terre et les arbres, battaient joyeusement des ailes, agitaient leurs têtes et gazouillaient de plaisir. Le saint marchait tout en parlant et les touchait de sa robe, sans qu’un seul s’effrayât et prît la fuite. Puis il les bénit d’un signe de croix, et tous, remontant droit au ciel, avec une chanson triomphale, se séparèrent en forme de croix vers les quatre coins de l’horizon.

Saint François s’abandonne à toutes les caresses de la nature sans s’inquiéter, à la façon des moines d’autrefois, des séductions que les mauvais anges y ont peut-être cachées. Le monde visible se manifeste à ses yeux avec une grandeur que n’avaient pas connue les troubadours provençaux, ses premiers maîtres en poésie ; dans sa Galilée de l’Ombrie, au bord du lac limpide de Pérouse, sous la feuillée des chênes de l’Alvernia, il entend l’immense, l’éternel murmure de la vie divine. À son tour, il veut participer