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ce que l’empereur Paul jugera à propos de faire pour le roi. Voilà ma réponse et mes sentimens. » Dans ce langage éclatait une fois de plus la malveillance de l’Autriche pour les Bourbons, cette malveillance dont elle leur avait donné tant de preuves et à laquelle le roi suppliait le tsar d’imposer[1] par des témoignages éclatans de sa protection.

En dépit de ces échecs de sa diplomatie, Louis XVIII ne se décourageait pas. Tout lui était prétexte pour revenir à son idée, pour demander sa reconnaissance par les cours coalisées contre la France et pour plaider la nécessité d’un manifeste signé d’elles. La lettre suivante, adressée à Paul Ier le 24 juin, révèle avec une intéressante précision tout ce qu’il attendait de ce prince et accuse la persistance qu’il mettait à le supplier de se conformer à ses désirs : « Votre Majesté Impériale a sans doute observé, dans l’adresse du prétendu corps législatif aux Français, cette phrase bien remarquable : « Il ne s’agit plus de savoir si vous resterez libres, mais si vous continuerez à être Français. » La crainte semée avec art d’un démembrement de la France a toujours été la principale arme de mes ennemis; elle leur a réussi en 1793; elfe a fait leur succès dans les campagnes suivantes, et, j’ose le dire à Votre Majesté Impériale, la pureté, la noblesse bien connue de ses intentions n’empêcheraient pas qu’elle ne leur réussît encore si rien n’était employé pour en détruire l’effet. Mais je ne lui cacherai pas les inquiétudes que j’éprouve. La démarche que M. de Cobenzel fit l’année passée de venir me voir à son passage par Mitau, des témoignages d’amitié que l’empereur des Romains m’avait fait donner par ma nièce pendant les derniers mois de son séjour à Vienne, me faisaient espérer un changement dans les dispositions de cette cour à mon égard, et malgré-des discours récens de M. le baron de Thugut, tenus à mon agent lui-même, où il faisait une grande distinction entre la monarchie française et le monarque, je crus les circonstances favorables pour faire de mon côté une démarche plus marquante, et j’ordonnai au comte de Saint-Priest d’écrire à M. de Thugut une

  1. Cette malveillance datait de loin; on la verra s’accroître dans la suite de ce récit. On a cru qu’elle avait son origine dans Le dessein de l’Autriche de faire monter un archiduc sur le trône de France en le mariant à la duchesse d’Angoulême. Ce qui est plus vrai, c’est que Thugut en fut l’instrument passionné. Un doute subsiste sur la question de savoir si cette passion fut désintéressée; Metternich, dans ses Mémoires, constate que Thugut fut soupçonné de s’être vendu au Directoire. Il ajoute, il est vrai, que, malgré tout, Thugut était au-dessus de la corruption. Mais il est obligé de reconnaître que personne n’a voulu affirmer que le ministre autrichien servit son pays avec désintéressement, et cela, dit-il, « est regrettable pour son nom et pour l’Autriche. »