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Comment, à la distance où il se trouvait des événemens, Louis XVIII aurait-il discerné ce que contenaient d’inexact ou d’exagéré les récits qui lui arrivaient de ses agens? Ces récits ne concordaient-ils pas avec d’autres faits dont il ne pouvait mettre en doute la réalité? N’était-il pas vrai que le gouvernement du Directoire tombait en pourriture, et que le prétendant avait trouvé un membre de ce gouvernement disposé à se vendre à lui? n’était-il pas vrai que trois généraux, après avoir abandonné le service de la république, travaillaient pour sa cause? N’était-il pas vrai que presque partout les armées républicaines reculaient devant les armées des puissances coalisées, que la Hollande et la Suisse s’étaient insurgées, qu’en Italie les soldats de la France résistaient vainement à Souvarof et à Mêlas, chaque jour rapprochés des frontières? Lorsque tant de faits semblaient annoncer un profond changement dans les affaires de l’Europe, pourquoi Louis XVIII n’aurait-il pas ajouté foi aux affirmations de ses agens? Elles répondaient à ses indomptables espérances, elles apportaient un appui à sa foi dans une meilleure destinée ; il les acceptait comme l’expression rigoureuse de la vérité.

De nouveaux événemens allaient brusquement le ramener à une plus sérieuse interprétation des choses, emporter ses illusions comme une tourmente emporte un édifice fragile. Le 26 septembre, à Zurich, le général Masséna mettait en déroute l’armée russe. En douze jours, qui ne furent qu’un combat, il la réduisait à l’impuissance, changeait ainsi la face de la guerre. Le 9 octobre suivant, Bonaparte, rappelé d’Egypte par les avis secrets du Directoire, débarquait à Fréjus. Le 16 octobre, il était à Paris, et le 8 novembre, — 18 brumaire, — il arrachait le pouvoir aux mains débiles qui le détenaient.

Avant d’exposer quelle influence ces graves événemens exercèrent sur la cause royale, il nous faut revenir à Dumouriez, à Willot et à Pichegru dans l’inaction où nous les avons laissés et raconter par quels effors ils tentaient d’en sortir.


ERNEST DAUDET.