tant elle a été aidée par l’amour de ceux qui les entourent, — à passer presque tout entière en eux : c’est en eux déjà qu’ils vivent vraiment, et de la place qu’ils occupent dans le monde, le petit coin auquel ils tiennent le plus et où ils voudraient rester toujours, c’est le petit coin qui leur est gardé dans deux ou trois cœurs aimans.
Ce phénomène de palingénésie mentale, d’abord isolé, irait s’étendant de plus en plus dans l’espèce humaine. L’immortalité serait une acquisition finale, faite par l’espèce au profit de tous ses membres. Toutes les consciences finiraient par participer à cette survivance au sein d’une conscience plus large. La fraternité envelopperait toutes les âmes et les rendrait transparentes l’une pour l’autre. L’idéal religieux et moral serait réalisé.
Ce sont là des spéculations dans un domaine qui, s’il ne sort pas de la nature, sort de notre expérience et de notre science naturelle. Mais la même raison qui frappe d’incertitude toutes ces hypothèses est aussi celle qui les rend et les rendra toujours possibles : notre ignorance irrémédiable du fond même de la conscience. Quelque découverte que la science puisse faire un jour sur la conscience et ses conditions, on n’arrivera jamais à en déterminer scientifiquement la nature intime, ni, conséquemment, la nature durable ou périssable. Qu’est-ce, psychologiquement et métaphysiquement, que l’action consciente et le vouloir? Qu’est-ce même que l’action qui paraît inconsciente, la force, la causalité efficace? Nous ne le savons pas; nous sommes obligés de définir l’action interne et la force par le mouvement externe, qui n’en est pourtant que l’effet et la manifestation. Mais un philosophe restera toujours libre de nier que le mouvement, comme simple changement de relations dans l’espace, soit le tout de l’action, et qu’il n’y ait que des mouvemens sans moteurs, des relations sans termes réels et agissans qui les produisent. Dès lors, comment savoir jusqu’à quel point la véritable action est durable en son principe radical, dans la force interne dont elle émane, dont le mouvement local est comme le signe visible, dont la conscience est la révélation intime? Nous retenons toujours quelque chose de nous, dans l’action comme dans la parole ; peut-être pourrons-nous retenir quelque chose de nous-même dans le passage à travers cette vie. Il est possible que le fond de la conscience personnelle soit une puissance incapable de s’épuiser dans aucune action comme de tenir dans aucune forme.
En tout cas, il y a là et il y aura toujours là un « mystère » philosophique, qui tient à ce que la conscience, la pensée est une chose sui generis, sans analogie, absolument inexplicable, dont le fond demeure à jamais inaccessible aux formules scientifiques, par conséquent