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Jadis aussi la foi républicaine eut ses dévots et la révolution eut ses illuminés. Il fut un temps où certaines paroles remuaient tous les cœurs et grisaient les imaginations. On ressentait pour les rois une haine aussi sincère que vigoureuse, et on pensait que la monarchie héréditaire est une insulte au bon sens. comme à la fierté des peuples, que la république est le seul régime conciliable avec les droits de l’homme, avec la dignité de notre espèce. On croyait en toute candeur à la souveraineté du peuple et à l’infaillibilité de ses décisions. On croyait aussi que les cours étant la source impure d’où dérivent tous les vices et toutes les corruptions ; le jour où le dernier des courtisans aurait porté sa tête sur le billot de la guillotine, il serait facile, comme le disait Saint-Just, « de donner au peuple français des mœurs douces, énergiques, sensibles à la fois et inexorables pour la tyrannie et pour l’iniquité. » La république telle qu’on la concevait devait inaugurer dans le monde le règne de la sainte justice et du bonheur sans reproche; il suffisait pour cela de la faire gouverner par des tribuns intègres, austères, méprisant tous les plaisirs, heureux de se sacrifier au bien public et communiquant à la nation l’ivresse de vertu qui échauffait leur sang. Il n’était pas question de récompenser leurs peines et leurs services. Amoureux de leur pauvreté, c’était assez de leur promettre qu’après avoir vécu le cœur pur, les mains nettes, jusqu’à l’âge de soixante ans, on les conduirait dans le temple, le jour de la fête de la Vieillesse, et qu’un peuple enthousiaste leur accorderait le droit de ceindre désormais leurs reins d’une écharpe blanche comme neige.

Où sont les neiges d’antan ? où sont les écharpes blanches ? Si la race des républicains austères et nourris d’idylles ou d’utopies farouches n’a pas entièrement disparu, ce qu’il en reste ne comptent plus. Les derniers survivans de cette espèce qui se perd méritent qu’on les respecte; quand ils font des phrases, ils y mettent leur cœur. Mais les jeunes républicains ne les prennent pas au sérieux et les traitent de vieilles barbes. La France ne peut plus s’y tromper, l’expérience lui a démontré que la république est un gouvernement comme un autre, que la république n’est ni un temple ni une école d’abstinence et de sévérité puritaine, que sous tous les régimes ce coquin d’homme ne change guère, que tous les partis ont les mêmes passions, les mêmes visées, les mêmes artifices, que tel républicain qui déclame, aujourd’hui encore, contre les corruptions de la cour impériale, ne donne pas à ses électeurs les exemples les plus édifians, que le désintéressement est une vertu peu pratiquée, presque inconnue dans le monde des politiciens, que quelles que soient leurs opinions, la plupart attachent quelque prix aux bonnes places, aux gros traitemens, aux influences qui rapportent, que le zèle du bien public ne leur fait point oublier leurs