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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/243

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taire qu’il peut rencontrer. Le grand chef libéral, M. Gladstone, vient de quitter Londres pour faire un voyage sur le continent, et M. Chamberlain, dans un récent discours, s’est déclaré résolu à soutenir le gouvernement tant que ses adversaires garderaient leurs idées « séparatistes ; » le vrai danger est dans cette agitation qui se ravive sans cesse, qui naît de la misère irlandaise. Le ministère a commencé sans doute par multiplier les promesses. Il annonce une enquête et toute sorte de projets libéraux pour la session prochaine. Malheureusement, ce ne sont là que des palliatifs assez vains pour le moment, et d’ici à la session prochaine les événemens peuvent s’être précipités en Irlande de façon à provoquer de nouvelles mesures de coercition qui auront encore une fois et plus que jamais tout compliqué.

C’est là l’éternelle et douloureuse question intérieure que le ministère conservateur trouve à son avènement, sur laquelle il peut avoir à prendre des résolutions décisives plus tôt qu’il ne le voudrait, et les affaires extérieures de l’Angleterre ne sont peut-être ni moins graves ni moins difficiles à conduire à l’heure qu’il est. Lord Salisbury témoignait l’autre jour une satisfaction un peu optimiste en montrant que la politique anglaise était invariable dans sa direction extérieure, qu’elle ne changeait pas avec les ministres, qu’il n’avait qu’à continuer ce qu’avait fait lord Rosebery, de même que lord Rosebery avait continué ce qu’il avait fait lui-même. Sans doute la politique anglaise a des traditions invariables et un puissant esprit de suite ; elle ne change guère, elle peut cependant être plus ou moins heureuse, et on ne peut pas dire qu’elle en soit, pour le moment, à la phase des succès. Vainement lord Rosebery, invoquant le traité de BerUn, a protesté récemment contre la décision par laquelle la Russie a supprimé la franchise du port de Batoum : le cabinet de Saint-Pétersbourg lui a répondu lestement que la déclaration spontanée par laquelle l’empereur avait fait de Batoum un port libre ne constituait pas une obligation. Les événemens qui viennent de se passer en Bulgarie ne sont pas non plus un succès bien avéré pour l’Angleterre, qui s’est exposée à s’entendre rappeler par M. de Giers que, si la paix de l’Orient restait si incertaine, ce n’était pas la Russie qui avait favorisé les troubles des Balkans et encouragé des révolutions de nature à « affecter l’équilibre des pouvoirs dans ces provinces. » Non, pour l’instant, l’Angleterre n’est heureuse ni dans les Balkans, ni dans la Mer-Noire, ni en Birmanie, ni aux frontières de l’Afghanistan, et il est certain que lord Salisbury a beaucoup à faire s’il veut retrouver pour la politique britannique les succès qu’elle a dus si souvent à sa hardiesse et à son esprit de suite.

ch. de mazade.