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archives ont été ouvertes ; les pièces les plus secrètes ont été publiées ou utilisées. Il ne s’agit que de conclure. Cette conclusion eût dû être exposée par l’éminent historien qui, le premier, a su discerner l’importance de la négociation et remonter aux sources pour en écrire l’histoire. Malheureusement Mignet a laissé son œuvre inachevée. Nous connaissons du moins le sens de ses conclusions, résumées à la fin de l’introduction magistrale qui est dans toutes les mémoires. Un de ses élèves, M. Reynald, qui avait reçu du maître les matériaux rassemblés par ses soins, les a développées, non sans talent. Ces conclusions, avons-nous besoin de le dire, sont celles que nous avons adoptées : si l’autorité de Mignet nous manque pour les exposer, nous avons du moins la bonne fortune de pouvoir les appuyer de preuves nouvelles, tirées de documens dont Mignet n’a pas eu connaissance.

Deux systèmes contradictoires se partagent l’opinion des historiens.

Le premier, le plus répandu en Europe, et qui a trouvé même en France d’habiles défenseurs, fait peser sur Louis XIV de lourdes responsabilités : le testament de Charles II serait son œuvre, les traités de partage n’auraient été qu’une ruse diplomatique destinée à endormir l’Europe et à peser sur l’opinion espagnole ; l’intérêt dynastique et les vues ambitieuses l’auraient emporté, dans l’esprit du roi, sur l’intérêt du pays et le respect de la foi jurée. Douze années de guerre et les désastres qui ont compromis la situation de la France seraient le fruit de cette politique tortueuse. Ce thème a surtout été développé dans les u manuels » destinés à entretenir outre-Rhin les jalousies nationales et à préparer les revendications que notre époque a vues se produire.

Suivant le système contraire, la loyauté de Louis XIV ne saurait être mise en doute; sa modération, son désir d’assurer la paix de l’Europe, seraient évidens ; les traités de partage ont été sincèrement conclus ; le testament de Charles II a été le produit spontané du patriotisme espagnol ; l’attitude de l’Autriche a obligé le roi de France à l’accepter, de même qu’elle a entraîné l’Europe dans une guerre que Louis XIV avait tout fait pour éviter.

Cette opinion est la véritable, et, je me hâte de le dire, les historiens allemands, vraiment dignes de ce nom, qui l’ont récemment soumise à une critique rigoureuse, l’ont impartialement reconnue comme telle. Ranke, dans son Histoire de France, a péremptoirement lavé Louis XIV et ses ministres du reproche de duplicité. M. Gædeke est aussi explicite : après avoir compulsé avec une scrupuleuse exactitude les archives de Vienne, il s’est rangé au même avis dans le commentaire aussi clair qu’impartial dont il a accompagné