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ne pouvait pas encore l’avouer, répondit avec habileté : « Je n’ai pas dit, écrivait-il à Blécourt, que je refuserais de pareilles offres, si elles étaient faites avec toutes les sûretés convenables; le silence que j’ai gardé sur ce sujet est tout ce que la nation peut me demander. » Le silence du roi suffisait à Porto Carrero, qui se remit à l’œuvre avec activité, persévérance et discrétion. On sait le reste. Nous n’avons pas à décrire ici les péripéties du drame qui se joua autour du lit où agonisait le dernier descendant de Charles-Quint ; la lutte fut vive entre la reine et le cardinal, menée de part et d’autre avec toutes les ressources de l’habileté et de l’intrigue ; tout fut mis en œuvre pour arracher un acte décisif à la volonté défaillante du moribond, tout fut exploité, jusqu’aux angoisses d’une conscience timorée, et aux affres de la mort prochaine ; enfin, la victoire se décida pour Porto Carrero : le 3 octobre 1700, Charles II signait le célèbre testament qui instituait le duc d’Anjou héritier de toutes les Espagnes.

Le surlendemain du jour où s’accomplissait ce mémorable événement, Louis XIV, qui n’y croyait pas, ne voulut pas renoncer aux espérances pacifiques du traité de partage sans avoir fait auprès de l’empereur un suprême et loyal effort. Il chargea Villars de dire à Léopold que la mort du roi d’Espagne paraissant imminente, il avait voulu faire une dernière démarche « afin de ne rien omettre de tout ce qui pourrait maintenir la paix et le repos de la chrétienté. » d’accord avec ses alliés, il avait suspendu l’exécution de l’article 7, par conséquent le choix d’un troisième prince à substituer à l’archiduc, et consentait à tenir secrète, jusqu’à la mort de Charles II, l’acceptation qu’il sollicitait. Villars ne devait pas cacher à Léopold les offres faites par la nation espagnole à un petit-fils de France, ni l’importance des troupes massées sur les Pyrénées; il devait ajouter qu’il dépendait de l’empereur seul de conserver dans sa maison des états considérables sans effusion de sang, ou de déchaîner sur l’Europe tout entière les maux d’une guerre longue et incertaine. Villars, en accomplissant cette démarche solennelle, joignit au message du roi tous les argumens qu’il crut de nature à impressionner l’empereur. Il lui fut facile de voir qu’il n’était pas écouté. Léopold venait de recevoir un courrier d’Espagne : Harrach lui annonçait la signature, par le roi, d’un testament et lui affirmait qu’il devait être en faveur de l’archiduc ! La reine, le père Gabriel, lui écrivaient dans le même sens.

Muni de ces renseignemens erronés, l’empereur convoqua le conseil : deux séances importantes furent tenues les 20 et 25 octobre ; tous les ministres y assistaient, ainsi que Jerger, Stahrenberg, et un certain nombre de hauts fonctionnaires. Communication fut donnée de la démarche de Villars, d’une dépêche de Sinzendorf