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de désigner l’ensemble par un seul nom. La fusion est lente, on le voit, mais avec le temps elle s’opère. Arrivons au IVe siècle; nous voyons apparaître dans la langue des populations italiennes un terme nouveau, le mot massa. Il signifie précisément un groupe de plusieurs domaines, dont le nom individuel n’a pas encore disparu, mais dont l’ensemble prend un nom unique et qui constituent entre eux une unité nouvelle : le grand domaine.

Ces observations donnent à penser que c’est par le groupement insensible et lent des propriétés petites et moyennes que la grande propriété s’est formée. Elle est aussi venue d’une autre source. On sait qu’au début de la période impériale il se trouvait dans toutes les provinces et même en Italie de grands espaces de terre boisés ou montueux dont le sol était d’une culture difficile. On les appelait des saltus. Ils n’avaient, à l’origine, presque aucune valeur. Mais cette société romaine était laborieuse ; elle se mit à les cultiver. L’état en garda pour lui un certain nombre et y plaça des colons. Les villes en prirent à leur compte et les affermèrent. Les particuliers en acquirent et les mirent en valeur. L’inscription de Véléia mentionne treize saltus, qui sont devenus propriétés privées, sans compter ceux qui appartiennent à la ville. Les chiffres d’estimation permettent de croire qu’ils sont cultivés. Quatre d’entre eux sont évalués plus de 300,000 sesterces. Or, comme il s’agit ici de mauvaises terres à peine défrichées et qui étaient naguère de nulle valeur, ces chiffres donnent à penser que les quatre saltus étaient fort étendus. Nous ne nous tromperons guère en les comptant comme de grandes propriétés, dont la valeur ira croissant avec le temps. Nous pensons que, parmi les grands domaines de l’époque impériale, il en est beaucoup qui se sont formés de cette façon. C’est le défrichement qui en a été l’origine. Qu’on relise le passage où Columelle parlait de ces vastes espaces dont le propriétaire ne pouvait pas faire le tour à cheval, on verra d’après sa phrase elle-même qu’il veut parler de saltus et que ces saltus sont encore à moitié en friche. Les propriétaires dont il parle sont de grands entrepreneurs de défrichemens. Columelle donne à entendre que leur spéculation n’est pas toujours heureuse. Beaucoup se ruinent visiblement, parce qu’ils n’ont pas assez de bras à mettre sur ces grands espaces, et l’agronome prudent conseille de ne pas les imiter. Mais ceux qui réussissaient pouvaient arriver, avec le temps et à force de travail, à constituer d’immenses et magnifiques propriétés. Tel est le saltus qui est décrit par Julius Frontin : « Il appartient à un seul propriétaire et il est pourtant aussi vaste que le territoire d’un municipe ; vers le milieu du terrain s’élèvent les constructions qui forment la demeure du maître ; à distance et tout