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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/342

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de véritables associations ; les membres étaient vicani entre eux; ils pouvaient s’entendre pour des travaux d’utilité générale, avoir une caisse commune, élire une sorte de magistrat entre eux. Mais la loi ne donnait pas à ces groupes une véritable individualité. Le groupe rural était toujours une partie intégrante de la ville, de la cité, du municipe. « Si vous êtes né dans un vicus, dit le jurisconsulte, vous êtes réputé natif de la ville dont ce vicus fait partie.» Il serait d’ailleurs très téméraire de supposer qu’il n’y eût qu’un seul type d’agglomérations rurales. On trouve dans les écrivains, notamment dans Grégoire de Tours, la mention de plusieurs vici d’époque romaine qui étaient certainement de fort gros bourgs et qui sont devenus des villes; nous pourrions citer ainsi Amboise, Loches, Brioude, Riom. Nous ne voyons pas comment ils étaient constitués, mais l’importance qu’ils avaient déjà permet de penser qu’ils étaient moins des villages que de petites villes; si on les appelait vici, c’était peut-être pour marquer qu’ils ne formaient pas des corps indépendans et étaient subordonnés à une cité. Ce qui avait un caractère plus exclusivement rural, c’était les metrocomiœ, véritables communautés de paysans sous l’autorité de l’état : institution singulière, que nous ne faisons qu’indiquer ici, parce que c’est en Orient qu’elle a été en vigueur et qu’elle n’a rien produit d’appréciable en Gaule ni en Italie. Ainsi, toutes les variétés de groupes se rencontraient çà et là sur le vaste sol de l’empire. Mais ce qui ne se voyait pas, c’était un système général de villages comme celui que nous voyons dans la plupart des états modernes. Des milliers d’agglomérations rurales existaient certainement ; mais la commune rurale, comme institution régulière et universelle, n’existait pas. Nous arrivons donc à cette conclusion que, dans la société de l’empire romain, l’unité rurale n’était pas le village, mais le domaine. Ce domaine, en général, ne faisait pas partie d’un village ; c’était plus souvent le village ou le hameau qui faisait partie du domaine. Le domaine avait, plus que le village, son individua- lité légale et sa vie propre. Surtout si nous nous plaçons au IVe ou au Ve siècle, c’est-à-dire dans une époque de grande propriété, nous pouvons dire que le sol se répartissait plutôt en domaines qu’en villages.

Or cette constitution rurale de la fin de l’empire a eu les plus graves conséquences pour la suite de l’histoire. On pourra observer plus tard que nos villages modernes sont issus, pour les neuf dixièmes, non pas d’anciens villages, mais d’anciens domaines. De là vient que la plupart de nos villages portent des noms qui dérivent de noms d’anciens propriétaires. Plusieurs les ont changés contre des noms de saints, à partir du VIe siècle, mais on a souvent conservé le souvenir des noms de propriétaires qu’ils avaient eus