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elles n’avaient ni la simplicité d’allure, ni la mesure fortement marquée qu’exige une masse populaire. D’autre part, elles ne pouvaient être exécutées que par des personnes sachant la musique et longtemps exercées dans la pratique du chant. Le chœur se composa de chantres attitrés ou d’autres personnes ayant un grade dans la hiérarchie ecclésiastique. C’est à lui que fut réservée la musique proprement dite avec ses rythmes variés, ses alternances de modes, ses récitatifs, ses airs habilement composés, où toutes les ressources de l’art étaient mises au service du sentiment et de l’expression. Au chœur on chanta les soli avec ou sans accompagnement. Il ne paraît pas qu’on y ait chanté des duos simultanés, mais il y avait des dialogues, et souvent les exécutans se partageaient en deux groupes qui alternaient à la façon du chœur antique. Enfin la chorégraphie fut admise dans les chœurs chrétiens, non avec cette variété de mouvemens orgiastiques qui se voyaient aux fêtes de Bacchus, mais, dans la mesure que comportait le culte nouveau. David, disait-on, avait dansé devant l’arche; le chœur chrétien ne dansa pas devant l’autel; mais il y exécuta en cadence des marches et des contremarches qu’il accompagnait de son chant. Tout cela s’est conservé et se voit encore dans nos églises. Ceux qui ne les fréquentent pas, sous quelque prétexte que ce soit, ne se doutent guère que tant d’élémens de l’art antique se soient maintenus dans le culte chrétien ; ils se privent, je ne dirai pas d’une source de jouissances de l’ordre le plus élevé, mais de moyens d’instruction qui sont à la portée de tous et qui ne coûtent rien. Qu’ils prennent la peine d’y aller et ils y retrouveront l’antiquité sous une forme vivante et animée.


IV.

Tels sont les élémens de l’art antique conservés par l’église. Quand on étudie avec quelque soin les chants populaires, on remarque que beaucoup d’entre eux sont dans les mêmes modes que les chants liturgiques. Comme ceux-ci procèdent de l’antiquité gréco-latine et que les artistes grecs les avaient eux-mêmes empruntés aux airs populaires de leur temps, on voit que la musique des anciens, celle de l’église et les chants populaires d’aujourd’hui, font partie d’un même ensemble. Le fond est la musique populaire ; il est en quelque sorte permanent et invariable. Sur ce fond se détachent en Europe deux grandes périodes artistiques, la période gréco-romaine et la période chrétienne. De la première nous ne possédons que la théorie, remise sur pied par les savans musiciens de nos jours ; sauf un très petit nombre de morceaux, toute la production