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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/377

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art est l’art grec, l’art antique avec la noblesse, la simplicité et la grâce des contours. On ne s’avancera pas trop en disant que les mélodies restituées compteront parmi les plus belles qui aient jamais été faites. Elles exciteront d’abord la curiosité par la nature des modes qui y sont employés ; on n’y trouvera pas une seule fois le mode mineur, qui n’était pas encore né. Le majeur y paraîtra quelquefois comme apparenté au lydien. Ce qu’on rencontrera presque partout, ce seront les modes antiques vrais, qui sont en même temps les modes populaires usités dans toute l’Europe et peut-être dans le monde entier. Ces modes s’y présenteront avec les caractères moraux que les artistes et les philosophes de l’ancienne Grèce leur ont attribués. Comme le genre chromatique en était exclu, on n’y éveille jamais ces passions purement humaines dont presque toute la musique profane s’est inspirée. Dans ces chants de l’église latine, il n’y a non plus aucune trace de mysticisme ; on sait qu’au point de vue de l’art, le mysticisme n’est autre chose que la passion humaine transportée dans les choses divines et cachée sous la sainteté des apparences ; le chromatisme lui convient. Il n’y a point dans les chants chrétiens de ces odieux compromis; la clarté de l’idée et la sincérité du sentiment en sont les traits les plus visibles. Ils répondent sans réplique à ceux qui nient l’existence d’une musique religieuse ; celle-ci est religieuse et n’est pas autre chose.

La phrase musicale, comprimée dans l’hymne par la mesure inflexible du vers, est libre dans l’antienne et dans ses dérivés. Elle n’y est point assujettie à la carrure ; il y a de longues et de courtes phrases, depuis une mesure jusqu’à sept ou huit et même au-delà. Ces mesures sont presque toujours à deux temps, assez souvent en six-huit, rarement à trois-quatre, cette dernière étant, au contraire, la mesure la plus fréquente des hymnes. On voit que la musique libre des antiennes fait avec celle des hymnes un contraste pour ainsi dire perpétuel. Quant au mouvement rythmique, il est extrêmement varié, quelle que soit, d’ailleurs, la mesure employée. Ainsi les introïts et les graduels sont des marches plus ou moins graves, selon le caractère de l’office ; beaucoup d’offertoires ont un mouvement à la fois noble et entraînant; le rythme des communions est doux, calme et pénétrant, comme il convient à l’acte qu’il accompagne. Quant aux antiennes, elles offrent toutes les expressions rythmiques, puisqu’elles sont la source inépuisable d’où les genres fleuris sont issus.

Examinons donc de plus près les antiennes, qui représentent la plus belle période de l’art chrétien. Dans les offices, elles sont ordinairement très courtes ; mais, de même que, pour un morceau