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sont évaluées d’après les résultats de l’année immédiatement précédente, oubliant que, dans ces deux pays, il est toujours fait face aux dépenses imprévues ou extraordinaires par la création immédiate de ressources nouvelles. M. Say proposait donc de prendre pour base des évaluations pour 1883 les recettes réalisées en 1881, mais il les majorait de la moyenne des plus-values constatées dans les trois dernières années ; il obtenait ainsi des évaluations supérieures de 90 millions à celles de M. Allain-Targé et il arrivait à équilibrer le budget ordinaire. Ce mode d’évaluation, qui reposait sur l’hypothèse gratuite qu’il n’y aurait jamais ni recul ni même temps d’arrêt dans la progression des recettes publiques et qui escomptait un avenir incertain, avait le tort d’enlever toute sécurité à la situation financière parce qu’il ne faisait aucune part à l’imprévu et ne donnait plus aucune garantie contre les mécomptes. M. Léon Say en a fait la dure expérience : bien que la commission du budget eût étendu de trois à cinq années la période dont les résultats devaient servir de base aux calculs budgétaires, les recettes de 1883 demeurèrent fort au-dessous des évaluations ; et les ennemis de M. Léon Say affectèrent de le rendre responsable de cette rétrogradation du revenu public. Rien ne pouvait être plus inique et plus contraire au sens commun qu’un pareil reproche; il est de toute évidence que le mode d’évaluation des recettes ne peut exercer aucune influence sur le rendement des impôts ; mais il est également évident que le ministre n’eût jamais songé à modifier la méthode suivie par ses prédécesseurs, s’il n’avait attendu de cet expédient un prétexte plausible pour grossir ses évaluations : les accusations imméritées qu’il encourut n’étaient point une injuste rétribution de cet excès d’habileté.

M. Léon Say ne mit point, du reste, la dernière main au budget de 1883. Les amis de M. Gambetta lui reprochaient comme une trahison envers la république ses aveux sur la situation financière ; ils demandaient à grands cris qu’on ne s’écartât point de la politique des dégrèvemens et des grands travaux, c’est-à-dire de la dépense à outrance. Cantonnés dans la commission du budget comme dans une forteresse, ils se coalisèrent avec les partisans encore nombreux du rachat des chemins de fer, et lorsque le cabinet eut été renversé sur la question égyptienne, ils imposèrent au nouveau ministre des finances, M. Tirard, l’abandon de la convention avec la compagnie d’Orléans et la résurrection du budget extraordinaire. Les embarras allaient croissant. Le budget venait à peine d’être présenté avec un excédent de recettes de 2 millions 1/2, lorsque le ministre de l’instruction publique vint demander à la commission du budget un crédit de 12 millions pour couvrir la différence entre le traitement des congréganistes que l’on congédiait et celui des