ne puis manger. » Il se lança ensuite dans de longs discours qu’il se proposait de faire entendre au roi. Enfin, il demanda un chiffre pour communiquer librement avec Mitau. Thauvenay lui promit de présenter sa requête à Saint-Priest. Les deux hommes se séparèrent enchantés l’un de l’autre.
Quelques jours après, le général écrivit à l’agent du roi une lettre consacrée uniquement à la défense du duc d’Orléans : «Je l’aime parce qu’il est vertueux, brave et vrai. Il a vécu dans une honorable pauvreté. Il a voyagé ignoré, inconnu, errant, par conséquent sans relations, en Suisse, dans les montagnes des Grisons, en Danemark, en Norvège, en Laponie, en Finlande et en Suède. De là, il est passé dans les États-Unis d’Amérique, où il réside depuis un an. Quand, par qui, avec qui, comment aurait-il pu, d’aussi loin et sans argent, intriguer, comploter avec les scélérats de Paris qui emploient son nom peut-être[1] ! » Thauvenay, aussitôt après l’entrevue, s’était empressé d’en rendre compte au roi. Cette fois, le prétendant ne mit plus en doute ni la sincérité du repentir de Dumouriez et de sa soumission, ni l’efficacité de ses projets.
- ↑ Le duc d’Orléans ne tarda pas à revenir sur le continent. Au commencement de 1800, il était à Londres. C’est de là que, le 16 février, il écrivit à Louis XVIII la lettre suivante, que ses frères, le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais signèrent avec lui :
« Sire, nous venons nous acquitter envers Votre Majesté d’un devoir dont le sentiment est depuis longtemps dans nos cœurs. Nous venons lui offrir le tribut d’hommages de notre inviolable fidélité. Nous n’essaierons pas de peindre à Votre Majesté le bonheur dont nous jouissons de pouvoir enfin lui manifester notre respectueux et entier dévoûment à son auguste personne, non plus que la profonde douleur que nous ressentons que des circonstances à jamais déplorables nous aient retenus aussi longtemps séparés de Votre Majesté, et nous osons la supplier de croire que jamais, à l’avenir, elle n’aura lieu de s’en ressouvenir. Les assurances pleines de bonté qu’elle a daigné nous faire donner à plusieurs reprises, nous ont pénétrés de la plus vive reconnaissance et eussent redoublé notre impatience s’il eût été possible de l’augmenter. La grande distance où nous nous trouvions et l’inutilité des tentatives que nous avons faites pour revenir en Europe, sont les seules causes qui aient pu en retarder l’expression.
« Sachant, Sire, que la volonté de Votre Majesté est que nous lui offrions en commun le serment solennel de notre fidélité, nous nous empressons de nous réunir pour la supplier d’en accepter l’hommage. Que Votre Majesté daigne croire que nous ferons consister notre bonheur à la voir convaincue de ces sentimens et notre gloire à pouvoir lui consacrer notre vie et verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour son service. »
Louis XVIII considéra cet acte de soumission comme un important événement. Il s’empressa d’envoyer au tsar une copie de la lettre des princes et demanda pour le duc d’Orléans la grand’croix de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem : « Si je puis pardonner, écrivait-il à Paul Ier, c’est à Votre Majesté impériale à réhabiliter. » Le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais reçurent les insignes de l’ordre du Saint-Esprit, dont leur âge ne leur avait pas permis d’être revêtus avant la révolution.