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négociation par l’opinion de Sa Majesté impériale. Si, comme elle me l’a fait espérer, elle protège et ne désavoue pas la négociation particulière qu’elle a daigné me permettre d’ouvrir avec MM. de Withworth et de Blum, négociation que je ne suivrai que pas à pas, sous ses yeux, sous sa puissante direction, je ne doute pas de sa réussite, surtout si M. de Mourawief reçoit l’ordre d’en suivre les détails avec la cour de Copenhague, à mesure qu’elle se développera ici et à Londres. »

Cette note était partie depuis quelques heures à peine qu’on en demandait une seconde à Dumouriez. Il s’agissait cette fois de ce qui pourrait être fait dans le Midi. Il exposa le plan concerté avec Willot, dont il avait, depuis son arrivée à Saint-Pétersbourg, et pour tenir une promesse faite en traversant Mitau, fait passer une copie à Saint-Priest. En l’envoyant à Rostopchine, il lui disait : « Je désire beaucoup que l’empereur soit content. Mais ma féroce éducation de soldat me rend plus propre à combattre qu’à écrire. Ce n’est que pour dérouiller mon épée que j’emploie ma plume. »

Ce double envoi effectué, il en attendit impatiemment les suites. A deux ou trois reprises, il fut encore autorisé à se trouver à la parade sur le passage de l’empereur. Mais il lui fut impossible d’obtenir audience sous une autre forme. Les portes du cabinet impérial restèrent closes devant lui. Les entretiens avec Paul Ier se ressentaient nécessairement des conditions dans lesquelles ils avaient lieu. L’empereur affectait de ne faire aucune allusion aux propositions manuscrites qui lui avaient été remises. La conversation roulait uniquement sur les questions militaires, le tsar toujours bienveillant, Dumouriez cherchant en vain l’occasion de parler de l’objet de son voyage, attentif à ce qu’il disait dans la crainte de déplaire. Ayant un jour manqué l’heure fixée pour une entrevue, il s’exécuta en rejetant la faute sur un personnage considérable de l’empire qu’il avait rencontré : « Sachez, monsieur, répliqua Paul, qu’il n’y a chez moi de personnage considérable que celui à qui je parle, et pendant que je lui parle. »

Voilà où il en était après un séjour de dix semaines à Saint-Pétersbourg. Il avait consacré ses talens à suggérer à l’étranger les moyens d’envahir son pays. Mais il ignorait quelle suite serait donnée à ses conseils. Cette incertitude, en se prolongeant, devenait plus cruelle. A partir du 20 mars, il ne revit plus l’empereur. Personne ne lui parlait de ses plans. Lord Withworth se prêtait par pure déférence à ses communications sans en espérer de grands résultats. Le comte de Blum n’augurait pas mieux du silence de l’empereur. Condamné à l’isolement et à l’oisiveté dans une capitale terrorisée par la police impériale, usant ses efforts contre la courtoisie