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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/444

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des lois, la destruction du monstrueux régime démocratique, voilà ce qui était, ce qui est encore dans les mains de Votre Majesté impériale ; voilà ce que la Providence vous avait inspiré l’année passée, ce qu’elle vous inspirera de nouveau, ce que vous exécuterez encore cette année, Sire, lorsque les dangers, en augmentant et en se rapprochant, feront céder les justes ressentimens de Votre Majesté impériale aux devoirs sacrés du plus puissant souverain de l’Europe. Quel que soit mon sort, quelque part que j’existe, ma confiance dans votre grand caractère me suivra et m’encouragera. Les obstacles s’aplaniront, les vérités que j’ai semées dans votre noble cœur germeront, et mon voyage ne sera pas perdu. »

La lettre est longue, mais instructive. À ce titre, il convenait de la citer en entier. Elle permet d’apprécier à quel degré de platitude la trahison peut abaisser une âme jadis fière, et, outre qu’elle nous dispense d’en citer d’autres, conçues dans le même esprit, que Dumouriez, à la même époque, écrivit au tsar et à Rostopchine, elle nous le montre, à son départ de Saint-Pétersbourg, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Dans un dernier entretien avec le ministre impérial, il essaya de réserver l’avenir. Il demanda qu’en prévision du séjour qu’il comptait faire à Hambourg, l’envoyé de Russie dans cette ville fût autorisé à le prendre officiellement sous sa protection. Rostopchine fit espérer que l’empereur ne refuserait pas d’accéder à cette demande. Il promit même d’écrire à Mourawief.

Dumouriez avait espéré qu’à ce dernier moment il recevrait une marque nouvelle de la munificence du tsar. Trois ans avant, dans des circonstances analogues, le comte de Saint-Priest s’était vu gratifié d’un vaste domaine en Lithuanie, et ce souvenir hantait le sommeil du brillant conspirateur que nous suivons pas à pas à ces étapes de la trahison. Mais Rostopchine garda le silence sur ce point délicat. Le général dut se contenter des 1,000 ducats d’or promis au moment de son arrivée. Il en éprouva un violent dépit, qu’il sut contenir cependant tant qu’il se trouva sur le territoire russe. Plus tard, il y donna librement carrière. « Je n’ai rien reçu, disait-il avec amertume, que ce qu’on donne toujours à ceux que le tsar mande auprès de lui. » C’était la vérité, mais elle fut longue à se faire jour. On crut pendant plusieurs semaines que la générosité de Paul Ier avait enrichi Dumouriez. Bourgoing, le ministre de France en Danemark, retenu à Hambourg par les ordres de Talleyrand pour surveiller les émigrés, écrivait, d’après des informations venues de Berlin : « Dumouriez, en partant de Saint-Pétersbourg, a reçu d’assez fortes sommes d’argent ; on ne sait encore pour quel objet, on le saura à son arrivée, c’est-à-dire dans les premiers jours de mai.»