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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/447

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révolutionnaire en Russie[1]. « Vous déciderez avec M. le comte de Rostopchine s’il est convenable ou non de continuer à exploiter cette mine ou de cesser d’être instruit. » Nous avons lieu de croire que le comte Panine ne répondit pas à cette étrange communication. Dans nos documens, il n’y a pas trace de sa réponse, et les envois de ce genre ne furent pas renouvelés.

Au cours de la même lettre, Dumouriez faisait allusion à la guerre qui se déroulait sur les frontières françaises, se vantait de ne s’être pas trompé dans ses prédictions : « Je ne fatiguerai plus les souverains de mes raisonnemens politiques. Il est trop fâcheux de jouer le rôle de Cassandre. Je me borne à désirer la protection spéciale de l’empereur votre maître, pour n’être pas inquiété dans mon asile, jusqu’à des circonstances plus favorables. » Cette protection jusqu’au bout devait lui être refusée, et lorsque, sur une sollicitation plus pressante que les autres, Rostopchine se décidait enfin à répondre, c’était pour se dépenser en banalités : « j’ai été impoli vis-à-vis de vous par embarras,.. je n’avais rien d’intéressant à vous dire. » Sa lettre, écrite sur un ton de plaisanterie familière, outre qu’elle ne contenait aucune allusion au désir exprimé par Dumouriez, ne disait rien qui pût lui faire espérer qu’on songeât à utiliser ses services. En terminant son léger bavardage, Rostopchine ajoutait : « Je vous dirai en confidence que l’empereur ne sera pas fâché d’avoir de vos nouvelles, que vous pourrez me les adresser et être persuadé d’avance que vous ne serez ni indiscret, ni prolixe, ni mauvais prophète. » Simples formules de politesse, témoignages de courtoisie, rien de plus. Dumouriez écrivit encore deux ou trois lettres à Paul Ier. Celles que lui répondit Rostopchine cachaient comme la précédente sous la bienveillance de la forme l’insignifiance du fond. Dumouriez n’en fut pas surpris. Depuis plusieurs semaines, il avait compris qu’il ne devait rien attendre de la Russie. Entre intimes il en faisait l’aveu : « j’ai bien eu de la peine à me rapprocher de Paul Ier, disait-il à un émigré, le marquis de Bellegarde. Je l’ai tenu pendant huit jours; je l’avais empaumé. Mais les Russes s’en sont aperçus et ont déjoué mes plans. »

Il n’en persistait pas moins, dans les salons où on le recevait, à parler de son voyage, des intentions du tsar, dont il disait posséder

  1. Cette liste, dressée par d’Angély à l’aide de papiers dérobés à la légation de France à Hambourg, est dans nos mains. Elle contient vingt-cinq noms ; au-dessous de chaque nom, une notice qui porte d’ailleurs le caractère de la vérité. Panine la communiqua à Rostopchine et au gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg, en faisant remarquer que M. de Mourawief n’avait pas communiqué ces renseignemens. Plusieurs comédiens attachés au Théâtre-Français impérial figuraient parmi les espions dénoncés par Dumouriez.