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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/459

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reculaient devant cinq mille Français. » Turin même fut abandonné. C’était un irréparable désastre. Willot se voyait désarmé avant d’avoir combattu. Il déposa ses armes dans la citadelle de la capitale du Piémont, gagna Alexandrie et Gênes en compagnie du ministre d’Angleterre, laissant derrière soi les débris de sa petite armée, douze cents hommes environ. Recommandé par Mêlas au général Hohenzollern, il voulut les mettre sous sa protection. Hohenzollern se contenta de lever les épaules après avoir lu la lettre de son chef et n’en tint aucun compte.

Quatorze jours plus tard, à Marengo, la vaillance française consommait la défaite des armées autrichiennes. Au mois de juillet, ces armées battaient en retraite sur tous les points à la fois ; la trêve était conclue; la Lombardie, le Piémont, Gênes tombaient au pouvoir de la France. Ainsi se dénouait la criminelle aventure dans laquelle s’était jeté Willot. Quand Gênes allait être prise, il se réfugia, avec les plus compromis de ses compagnons, sur un bâtiment de la flotte anglaise, qui le transporta à Livourne. Son rôle politique et militaire était fini.

À cette même époque, la marche triomphante des Français en Allemagne avait renversé tous les plans de Pichegru. Il se préparait à aller d’Augsbourg en Italie et ses chevaux étaient expédiés déjà par la route d’Inspruck, quand il dut précipitamment prendre la fuite pour ne pas tomber aux mains des vainqueurs. Il se réfugia en Angleterre, tandis que les membres de l’agence de Souabe se dispersaient. Précy cherchait un asile en Prusse. Dumouriez se retirait dans le Holstein. Saint-Priest, envoyé à Vienne pour y négocier la reconnaissance de Louis XVIII par la cour d’Autriche et réclamer pour ce prince le droit de se rapprocher des frontières de son royaume, voyait sa négociation brusquement interrompue par l’imminence de la paix. La police de Fouché tenait tous les fils de la conspiration avortée[1] et les agens de Londres demandaient au roi la révocation des pouvoirs donnés à Paris et dans le Midi. Le 11 juillet, le président de Vezet écrivait : « Bonaparte, dont un seul revers eût précipité la chute, s’affermit par des victoires, commande la paix et paraît un géant. »


ERNEST DAUDET.

  1. Elle avait mis la main sur les lettres que Willot adressait à Paris et qu’il signait Mesnard. Les indications qu’elle y avait recueillies furent confirmées et complétées à quelques semaines de là, quand, Précy ayant été arrêté à Bayreuth par les autorités prussiennes, ses papiers furent saisis, livrés à Beurnonville et envoyés à Paris par celui-ci.