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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/465

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par tous pays, et d’abord par tous pays de race latine et de foi catholique, le sujet tiré de la légende sévillane avait de quoi devenir populaire : n’y a-t-il pas là dedans, comme dit Stendhal, « le diable et l’amour? » Traduit d’abord en différentes tragi-comédies, l’ouvrage violent et religieux du poète espagnol, dans la joyeuse patrie de Scaramouche, est bientôt tombé jusqu’à la farce : le paisible valet du héros, Catalinon, a été remplacé par Trivelin, auquel Arlequin succédera, et qui déjà prend des « postures » et fait mille tours. Telle ou telle version a pu recevoir pour sous-titre : l’Athée foudroyé; ce n’est pourtant plus, comme l’original, une sorte d’auto da fe littéraire, mais une pantalonnade, une trivelinade, une arlequinade. Quelque humble qualité qu’on lui assigne, ce divertissement, introduit à Paris, a fait merveille. Plus même que les lazzi et les grimaces, les décors variés et la statue du Commandeur (une statue équestre, paraît-il !) ont charmé le public, habitué à la sobriété de notre mise en scène. Pourquoi laisser à ces étrangers tout le bénéfice d’un si heureux sujet? Déjà les comédiens de Mademoiselle, déjà ceux de l’Hôtel de Bourgogne se sont procuré leur Festin de Pierre : Dorimond, d’une part, et Villiers de l’autre, ont traduit ou imité pour leurs camarades une tragi-comédie italienne, quelque peu différente de celle d’où les bouffons ont emprunté leur scénario. On avait pensé que la plupart des spectateurs « s’attacheraient plutôt à la figure de dom Pierre (le Commandeur) et à celle de son cheval, qu’aux vers et à la conduite; » pourvu qu’elles fussent « bien faites et bien proportionnées, la pièce serait dans les règles:., et en effet, déclare Villiers, c’est assurément ce qui a paru de plus beau dans notre représentation. » Les compagnons de Molière seront-ils seuls privés de cette ressource? Le désavantage, pour eux, serait particulièrement pénible : songez que ces Italiens alternent avec eux au Palais-Royal !.. Chef de troupe, à la besogne !

Molière a l’esprit occupé du Tartufe, interdit l’année précédente, et pour lequel, — c’est sa grande affaire en ce temps-là, — il lutte pied à pied contre la cabale. Déjà peut-être il roule dans sa tête le Misanthrope, qui sera joué l’année suivante. Mais il ne s’agit que d’une pièce d’occasion, et qui sera de bon rapport : Loret, tout à l’heure, la veille de la première représentation, la vantera aux badauds pour ses « changemens de théâtre; » un texte français qui soit un prétexte à cette mise en scène italienne, voilà tout ce qu’il faut. Ce sera l’Impromptu du Palais-Royal..; il est fait : c’est Don Juan. Pour la première fois, écrivant une comédie en trois actes, Molière n’a pas pris le temps ni la peine de l’écrire en vers. Il y admet des digressions comme dans une œuvre de fantaisie, qui ne prétend qu’à faire passer le temps de façon amusante : digression sur le tabac, au lever même du rideau; digression sur la médecine, au troisième acte; après quoi, le personnage dit simplement :