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tout ce qui rappelait Napoléon. M. de Talleyrand, armé de son principe de la légitimité, harcelait sans cesse les alliés, dont quelques-uns se montraient assez indifférens. M. de Metternich, qui était le plus intéressé, le plus engagé en Italie, était aussi le plus embarrassé, et il se défendait contre les impatiences du plénipotentiaire français par une diplomatie évasive qui mettait parfois l’imperturbable Talleyrand hors de lui. Il y avait dans cette affaire ce que le chancelier d’Autriche avouait, ce qu’il pouvait avouer et ce qu’il n’avouait pas, ce qu’on croyait deviner en l’exagérant peut-être.

Ce qu’il pouvait avouer, c’est que la question n’était pas aussi simple que le disait M. de Talleyrand. Au moment où les alliés étaient entrés en France, au mois de janvier 1814, lorsque le dénoûment de la guerre pouvait dépendre encore d’un dernier effort de génie de l’empereur, M. de Metternich, cherchant partout des ennemis à Napoléon jusque dans sa famille, avait attiré ou admis Murat dans l’alliance européenne ; il avait signé avec lui un traité, il y avait même ajouté des articles secrets lui garantissant sa couronne. L’Angleterre s’était associée au traité et à la garantie. Si étrange que cela pût être, le faible et mobile Murat était de la coalition ; il était censé triompher avec elle, il pouvait se croire couvert ou adopté par elle. Il avait à Vienne des représentans, le prince Cariati, le duc de Campo-Chiaro, qui, sans être admis au congrès, plaidaient habilement sa cause. L’Autriche se sentait liée, tout au moins singulièrement gênée. Le plénipotentiaire anglais, lord Castlereagh, considérait comme indigne de son « caractère » de renier un engagement. M. de Metternich, appuyé par lord Castlereagh, hésitait d’autant plus qu’en ce moment l’Italie était pleine de fermentation, l’Autriche n’avait pas encore une armée suffisante au-delà des Alpes, et Murat, si on le poussait à bout, pouvait, en se mettant à la tête des Italiens, susciter les plus redoutables complications : c’était ce qu’il avouait quand on le serrait de trop près. Ce qu’il n’avouait pas, c’est que la raison qui l’avait conduit à l’alliance, qui l’v attachait encore, c’était peut-être son ancienne passion pour la reine de Naples.

C’est sous l’influence de la belle et remuante Caroline Murat qu’avait été préparé le malheureux traité du mois de janvier 1814, et c’est pour elle que le chancelier d’Autriche semblait garder ses préférences, sans s’inquiéter de l’autre reine, Marie-Caroline, dont la mort, survenue en ce moment même à Vienne, l’avait mis, disait-on, plus à son aise. M. de Talleyrand, avec sa mauvaise langue, écrivait au roi Louis XVIII, en lui racontant une soirée de fête et les légèretés de M. de Metternich : « … Il avait la tête tellement remplie de l’affaire de Naples, qu’ayant trouvé une femme de sa connaissance, il lui dit qu’on le tourmentait pour cette