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Marie-Louise n’était plus qu’une sorte de prisonnière entourée d’hommages sous la garde de son père, l’empereur François ; elle était d’ailleurs une captive volontaire, tout occupée de l’établissement qu’on lui préparait en Italie, déjà subjuguée par le chambellan placé auprès d’elle, le comte de Neipperg, détachée de son redoutable époux et de la France. On avait d’abord laissé le jeune prince impérial sous la garde de sa gouvernante, Mme de Montesquiou ; on ne tardait pas à le remettre en des mains autrichiennes, à le séparer de tout ce qui pouvait lui parler de son père. On interdisait à Napoléon les sentimens de famille en lui interdisant le règne ; toutes les issues se fermaient devant lui à Vienne. Engagé au centre des intrigues qui se nouaient de toutes parts et des grands événemens qui se préparaient, M. de Metternich restait plus que jamais l’âme et le conseil de la coalition. Plus que tout autre, par sa position, il était nécessairement au courant des missions secrètes venant de Paris ; il ne les prenait pas au sérieux. Tout ce qu’il recevait, il le communiquait aux alliés, et ce n’est qu’après avoir consulté l’empereur Alexandre et le roi de Prusse qu’il entrait dans une sorte de négociation clandestine à laquelle le provoquait l’homme aux perpétuelles intrigues, Fouché, qui essayait un moment de savoir si l’Europe ne se contenterait pas d’une régence au nom du fils de Napoléon. Un émissaire autrichien, M. d’Ottenfels, sous le nom de Werner, allait effectivement à Bâle, où il devait se rencontrer avec un émissaire de Fouché, et, par une curieuse combinaison, c’est Napoléon lui-même qui, ayant surpris les menées de son ministre de la police, envoyait un de ses agens au rendez-vous de Bâle. La négociation n’était qu’une intrigue de plus qui ne pouvait servir à rien.

Pendant ce temps, les armées marchaient de toutes parts. M. de Metternich faisait cette campagne nouvelle, comme la précédente, au quartier-général des souverains, qui n’avait pas encore dépassé Heidelberg à la mi-juin, et c’est à Heidelberg qu’il recevait la nouvelle de la grande et sanglante rencontre du 18 juin, qui rouvrait aux armées alliées, comme aux souverains et aux diplomates de l’Europe, les routes de Paris. Chemin faisant, à travers les Vosges encombrées de troupes, de canons, de chariots de guerre, M. de Metternich écrit à sa fille Marie : « Hormis ce qu’il y a de fatigant à notre marche, il faut savoir que nous faisons la guerre pour se douter que nous y sommes. Tout le monde nous reçoit bien et nous prie de faire vite. Notre présence en France est un bienfait qui ne ressemble pas mal à une amputation. Nous ferons beaucoup de bien et de mal à la fois. Le peuple est fâché que Napoléon ait reparu pour faire tuer soixante mille hommes et pour s’enfuir après… Le roi est généralement aimé. Toutes les haines se concentrent sur le duc de Berry et sur M. de Blacas. On déteste aussi les émigrés,