que sont venus, avec leur cortège ordinaire, les sultans actuels. Ce qu’ils ont fait du Maroc est à coup sûr douloureux à contempler. Il n’y a plus rien dans ce pays qui rappelle le passé. L’industrie n’y est pas moins morte que le reste. Quand on parcourt les bazars du Caire ou de Tunis, on est charmé de l’habileté des ouvriers, du goût et de l’élégance des artisans, des qualités ingénieuses et imprévues qu’ils ont conservées jusque dans la décadence de leur race. Les bazars du Maroc, à part quelques broderies qui répètent à satiété des modèles anciens, ne présentent que des objets parfaitement grossiers. L’industrie de Rbat’ elle-même perd de plus en plus l’art des dessins compliqués et des colorations heureuses qui faisaient le mérite des tapis marocains. Mais la déception devient plus vive lorsqu’on passe de l’industrie aux arts et aux sciences. L’architecture y gâte les décorations d’autrefois en les entassant les unes sur les autres avec un mauvais goût révoltant. Pour les sciences, encore une fois, il n’y en a plus trace. On rencontre au Caire, en Syrie, en Tunisie, beaucoup d’hommes qui, malgré leurs préjugés, ont réellement quelque instruction. Au Maroc, l’ignorance est si universelle, qu’on en est rapidement écœuré. Les causes qui ont amené la décrépitude de la Turquie ont agi là avec plus d’intensité encore : la théocratie a tout étouffe sous elle et, comme elle se retrempait sans cesse dans la barbarie du Soudan, elle a été absolument invincible; elle n’a pas rencontré de résistances, ou elle les a brisées avec une violence dont on reconnaît la trace dans les ruines amoncelées partout.
Nous étions prévenus qu’après la réception du sultan nous allions assister à une série de dîners officiels qui font partie du cérémonial obligatoire de toutes les ambassades européennes au Maroc. Quoique pleins d’une juste méfiance envers la cuisine indigène, nous ne pouvions nous refuser à des invitations qu’il eût été malséant de repousser. C’est chez le sultan lui-même que devait avoir lieu le premier de ces dîners; je dis chez, mais non pas avec le sultan. Le sultan est un trop grand saint pour manger et boire en compagnie d’infidèles. Il se borne à se faire représenter auprès d’eux par des personnages de son entourage. Ce n’est même pas dans un palais impérial qu’a lieu le repas ; c’est dans un des nombreux jardins qui en dépendent. En général, on se rend à quelque distance de la ville, au grand parc dont la résidence d’été de Moula-Hassan est entourée. Mais comme la saison était très avancée au moment où nous nous trouvions à Fès, et que la chaleur