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l’or pur ! Lysistrate, ou la grève des femmes, la plus salement impudique de ses comédies, a des chœurs dignes d’Eschyle.

Sur ce point on l’excuse en rappelant les rites impurs que la Grèce avait reçus de l’Orient et le culte de Dionysos, ce représentant de la Nature ivre d’une sève exubérante, qui se plaisait aux libres manifestations de la vie et du plaisir. Sans doute, la pudeur antique ne ressemblait pas à la nôtre ; le vieux naturalisme avait laissé, dans les fêtes les plus solennelles, d’étranges emblèmes qui n’étonnaient ni femmes ni jeunes filles ; et Aristophane avait affaire à un auditoire tout à la fois très délicat et très grossier, amoureux de la poésie la plus élevée et des plaisanteries les plus grossières. Mais à un certain âge de la civilisation, le poète n’est plus forcé de suivre la foule en lui demandant ses inspirations ; il la doit précéder. Aristophane, avec son génie, avait le pouvoir d’attirer ses auditeurs à d’autres spectacles, et il les entraîne trop souvent au plus épais des bas instincts.

L’histoire littéraire n’a pour lui que de l’admiration, séduite qu’elle est par tant d’esprit et de grâces incomparables. Mais puisque le poète s’est donné un rôle politique, il devient justiciable d’une autre histoire. Alors la question ne se résout plus au théâtre ; c’est à l’agora qu’il faut aller : je veux dire que, pour juger le poète il faut connaître la constitution d’Athènes et la vraie nature de son gouvernement ; les intérêts et les passions des partis en présence ; les nécessités d’une ville maîtresse d’un empire maritime, remplie de négocians, d’industriels, de marins, et à qui ses antécédens comme sa situation présente, imposaient un régime très démocratique. Sur tout cela il a régné longtemps bien des erreurs que la critique moderne commence à dissiper. Ces discussions ne seraient pas ici à leur place. Je les ai exposées ailleurs ; il suffira de dire qu’Aristophane, en avance sur beaucoup de ses concitoyens à l’égard de certaines questions, est en retard d’un siècle pour quelques autres.

Quelle influence utile a donc exercée ce politique qui ne voyait que le mal ou ce qu’il croyait l’être, et qui ne sut indiquer d’autre remède qu’un retour au passé, comme si les peuples pouvaient mieux que les fleuves, remonter le courant qu’ils ont descendu ? Sans doute, aux yeux de ceux à qui le présent déplaît, le passé se colore d’une teinte de poésie, comme la colline dont le soleil du soir dore le sommet quand elle a déjà le pied dans la nuit. Mais le passé d’Athènes avait subi la loi commune : il était mort et des conditions nouvelles d’existence s’étaient produites. Aristophane les réprouve, parce qu’il ne les comprend pas ou ne veut pas les comprendre. L’important pour lui n’était pas de savoir, mais de rire. Or l’éloge ennuie, la caricature amuse : il se décida pour elle