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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/640

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répondre aux desiderata formulés par des politiques éminens comme Stuart Mill, Thornton et Minghetti. « Il y a une distinction essentielle à faire, dit Mill dans son Autobiographie, entre la confection des lois, fonction à laquelle une assemblée est complètement impropre, et celle de faire que de bonnes lois soient votées, ce qui est son premier devoir et ce qui ne peut être accompli que par elle. En conséquence, une commission législative doit former une part intégrante de la constitution de tout état libre. Cette commission devrait être composée d’un petit nombre d’hommes spécialement compétens, à qui serait confiée la tâche de préparer les lois que le parlement voudrait voter. Le parlement garderait le pouvoir d’adopter ou de rejeter le bill qui lui serait soumis, mais non de le modifier, sauf en renvoyant à la commission les amendemens qu’on voudrait proposer. » Aux États-Unis, on a fait mieux encore. Comme la commission désirée par Mill ne peut être également compétente en toute matière, on a formé autant de commissions qu’il y a de matières à examiner, et ainsi il y a toute chance que les lois proposées seront bien faites par celles-ci,.. à moins qu’elles n’aient un intérêt contraire.

Minghetti et Thornton, qui ont fait voir tous les maux que l’esprit de parti inflige au régime parlementaire, auraient lieu d’être satisfaits aux États-Unis. L’esprit de parti, qui fait rage et ne recule devant aucun moyen lors des élections, s’apaise subitement au sein du congrès et n’exerce presque plus aucune influence sur la confection des lois. Dans tous les degrés de la vie politique, la démocratie règne en maîtresse. Le peuple choisit directement ses législateurs, ses hauts fonctionnaires et même ses juges. Comme toutes ses nominations se renouvellent à courte échéance, la volonté populaire semble devoir être souveraine. Et cependant elle vient expirer au seuil du congrès. Là, le président de la chambre, et les comités qu’il nomme, font les lois à leur guise, presque à l’insu du public et sans responsabilité. Au sommet du gouvernement, la démocratie cesse d’exercer son empire.

J’ai dit : à l’insu du public. En effet, ouvrez un journal américain, même le plus complet : l’espace consacré à rendre compte de ce qui se passe au sein du congrès, et surtout dans la chambre des représentans, est très limité, et ce qu’on en dit est, la plupart du temps, inintelligible, sauf pour les initiés. On ne peut reproduire en entier le texte des lois votées, et la sèche analyse qui en est faite n’est guère attrayante à lire : point de discours intéressant à signaler ; des votes à enregistrer, voilà tout. Les Américains suivent avec passion les débats du parlement anglais ; le câble transatlantique leur en transmet chaque jour le récit détaillé ; mais, sauf pour quelque grande question, ils s’intéressent peu à ce qui se fait et se dit à leur Capitole. Les moindres paroles de Gladstone et de