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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/658

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condition pour bien connaître les choses que de les avoir vues de près et de les avoir dirigées ; mais ce n’est pas une garantie d’impartialité. Il est naturel de se passionner pour des intérêts qu’on a été chargé de défendre, de même qu’on se trouve porté, malgré soi, à s’exagérer l’importance des entreprises auxquelles on désire s’associer. On ne peut qu’applaudir aux sentimens qui dictent une pareille conduite, mais il serait dangereux de les prendre pour guides. Dans les affaires de ce genre, l’enthousiasme est un mauvais conseiller. La première condition pour les bien juger, c’est de les aborder sans parti-pris, ainsi qu’on peut le faire lorsqu’on a parcouru et habité les pays dont on parle, sans y avoir joué aucun rôle, quand on s’est tenu constamment au courant de leurs affaires sans avoir jamais été appelé à y prendre part. Ce sont là les conditions dans lesquelles a été écrit le présent travail.


I

L’insalubrité du climat a été, de tout temps, l’obstacle principal que les peuples colonisateurs ont trouvé sur leur route. C’est presque le seul aujourd’hui. Dans les siècles qui ont précédé le nôtre, la lenteur, la difficulté des communications apportaient de sérieuses entraves aux grandes entreprises d’outre-mer. Il était impossible de transporter au loin un personnel et un matériel suffisant pour vaincre, sans effort, la résistance des naturels, dont l’armement n’était pas sensiblement inférieur à celui de leurs conquérans, et que leur nombre rendait redoutables. Aujourd’hui on peut, à coup sûr, et en très peu de temps, porter d’un bout du monde à l’autre une armée munie de tous ses approvisionnemens, escortée d’engins de guerre d’une telle puissance que toute résistance est d’avance vaincue. Ce n’est plus qu’une affaire d’argent, et il suffit de savoir si la possession qu’on va conquérir vaut le prix qu’il faut y mettre ; mais la question de climat reste tout entière, et elle acquiert chaque jour plus de prépondérance parce que les peuples ne font plus, comme autrefois, bon marché de la vie humaine et que leurs conditions d’existence ont complètement changé.

En dehors même de l’idée de conquête, ils sont en proie aujourd’hui à une véritable fièvre de locomotion dont la race anglo-saxonne a donné l’exemple, et devant laquelle il faut que toutes les barrières tombent. Ce besoin d’expansion a remplacé l’isolement systématique des anciennes nations et tend à mélanger les races dans des proportions inconnues jusqu’ici. Les grandes migrations des temps anciens n’étaient que des accidens dans la vie des peuples, des perturbations momentanées séparées par de longues périodes d’immobilité ; aujourd’hui, le mouvement devient une