Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

descendans la conquête de la grande île malgache. Ils auront peut-être pour la réaliser des moyens d’action qui nous manquent encore et des ressources dont nous ne disposons plus.

La France aurait depuis longtemps oublié ses droits sur Madagascar s’ils ne lui étaient pas incessamment rappelés par la plus sympathique de nos colonies. L’Ile de la Réunion a les yeux constamment tournés vers cette grande terre, qu’elle considère comme sa propriété, et insiste pour que nous l’ouvrions à tout prix à son commerce. Sa cause est défendue avec tant d’autorité par les hommes qui représentent ses intérêts dans nos assemblées qu’il est bien difficile de leur résister, et pourtant il est des entraînemens contre lesquels il faut savoir se tenir en garde. La Réunion, comme les Antilles, a dû sa prospérité passée et sa décadence actuelle à la culture exclusive de la canne. L’abolition de l’esclavage lui a été moins fatale qu’à nos colonies américaines, en raison du voisinage de l’Inde et grâce à la prévoyance de ses habitans. Ils n’ont pas attendu le dernier moment pour se procurer de l’extérieur les bras qui allaient leur manquer. Lorsque l’émancipation est arrivée, l’île comptait déjà 5,629 travailleurs, dont 4,631 Indiens. Aujourd’hui, le chiffre des immigrans s’élève à près de 50,000. Ce ne sont donc pas les bras qui manquent, c’est le placement avantageux de l’unique produit de la colonie. La canne, pour laquelle on a arraché les magnifiques plantations de café, de girofle, de muscade, qui faisaient le charme du pays, la canne ne donne plus aujourd’hui de produits rémunérateurs. Elle ne rapporte pas plus de 1 pour 100, et les habitans n’ont plus les fonds nécessaires pour opérer une transformation qui pourrait être leur salut. La plupart des propriétés sont grevées d’hypothèques considérables ou tombées aux mains du Crédit foncier, qui ne trouve pas à les vendre. Les institutions de crédit elles-mêmes sont dans la situation la plus précaire. Enfin, le déboisement des hauteurs opéré par les noirs qui ont quitté les habitations aussitôt après l’émancipation, l’abandon des cultures arborescentes qui retenaient les eaux, ont déterminé la formation de petits marais, et cette île au climat enchanteur, à la salubrité sans égale, est maintenant devenus presque malsaine. Nous venions autrefois nous y rétablir en sortant de Madagascar, et cas un de nous n’a perdu le souvenir de cet accueil si cordial que les Européens étaient sûrs, de trouver dans les villes, comme sur les habitations. Pour ma part, je garde à cette population créole, si élégante, si bonne, si hospitalière, une reconnaissance et une affection que le temps n’a pas affaiblies. La France tout entière partage cette sympathie. Elle est prête à tout faire pour rendre à l’île de la