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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/685

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renoncer à toute entreprise, à toute aventure de ce côté-là. L’état de nos finances nous fait un devoir de gérer ce patrimoine avec économie, et notre intérêt nous conseille de l’administrer avec prudence. Il faut éviter, autant que faire se peut, les conflits et les expéditions militaires. On le peut presque toujours lorsqu’on ne les provoque pas. Se jeter au milieu de populations à demi sauvages pour leur imposer sa volonté par la violence, c’est commettre une injustice et une maladresse tout à la fois. La force n’a jamais rien fondé de durable, et quand on tient à faire respecter son droit, il faut commencer par respecter celui des autres. Les armes dont il faut se servir avec les peuples qui commencent, comme avec les enfans qui débutent dans la vie, sont la douceur, la patience et la justice unies à une fermeté inébranlable. Comme le père de famille, l’Européen doit savoir se faire aimer et craindre en même temps, par les populations primitives au milieu desquelles il vient se placer. Cette conduite est assurément plus difficile à suivre que celle qui consiste à les soumettre par la violence ; mais elle est plus digne, plus équitable et plus conforme aux véritables intérêts du pays.

L’entretien de nos possessions d’outre-mer n’est pas très dispendieux par lui-même. Tandis que leurs budgets locaux réunis s’élèvent à 55,238,737 francs, elles ne coûtent à la métropole que 37,294,325 francs. C’est à peine le prix de deux navires cuirassés, et l’Algérie seule coûte deux fois davantage. Les colonies françaises ne peuvent donc pas être considérées comme une charge par un pays qui dépense 3 milliards par an.

Nous pouvons, comme on le voit, sans nous imposer de grands sacrifices, conserver notre domaine d’outre-mer tout entier, à la condition de le gérer avec sagesse ; de ne pas chercher à l’accroître et d’éviter, autant que possible, les conflits et les expéditions de guerre. Les partisans des aventures et de la colonisation à outrance trouvent qu’une pareille conduite manque de prestige et n’est pas conforme au passé chevaleresque de la France. Ils estiment qu’il n’est pas digne de nous de reculer devant les difficultés et qu’il faut aller jusqu’au bout dans les entreprises commencées. A leurs yeux, le patriotisme exige que nous soumettions les Hovas comme les Toucouleurs. Le patriotisme est un sentiment de premier ordre, qu’il ne faut pas mettre en avant dans les questions où il n’est pas en cause. Il n’est personne qui songe à épargner l’argent ou les hommes lorsque les grands intérêts du pays l’exigent, ou quand l’honneur national le commande ; mais ces grandes choses-là n’ont rien à voir dans les petites questions coloniales. Il n’y a pas plus de gloire à vaincre des peuples qui se défendent avec des sagaies et des fusils de traite, qu’il n’y a de honte à quitter un pays parce qu’il est trop malsain pour qu’on puisse y vivre. La seule