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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/719

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L’Europe d’aujourd’hui est un peu comme la France ; elle ne désire que la paix et elle ne voit partout que des causes de trouble, de mauvaises apparences, des signes presque menaçans. Elle se sent agitée, tout au moins assez incertaine sur le lendemain qui l’attend. Malheureusement, en Europe comme en France, ce sont les politiques régnans, les prépotens du jour, les gardiens privilégiés de la paix qui sont les premiers à la troubler. Ce sont les grandes ambitions qui créent ou entretiennent cet état perpétuel de crise que le moindre incident ravive, qui n’a une certaine gravité que parce que les influences les plus puissantes sont en présence sur le même théâtre, qu’elles se disputent au risque de s’entre-choquer et d’enflammer l’Europe.

Les affaires de Bulgarie n’étaient qu’un incident dont on aurait pu sans doute se rendre maître en lui laissant ses modestes proportions ; elles sont devenues une grosse question qui ne laisse pas d’être une menace pour la paix, pour l’indépendance de l’Orient, et elles ne paraissent pas se simplifier depuis cette série de mouvemens contraires, mystérieux, qui, en un mois, ont eu successivement pour résultat la dépossession du prince Alexandre, son retour triomphal, enfin son abdication volontaire. Le prince Alexandre a très noblement quitté la scène où il ne pouvait plus rester, sans humiliation et sans péril pour le pays qui lui avait donné la couronne ; il s’est effacé devant la Russie, qui, jusqu’au bout, s’est montrée implacable et a tenu à faire sentir aux Bulgares le poids de son omnipotence. Qu’en est-il résulté ? La situation n’en est certes ni plus claire ni plus rassurante dans les Balkans, et les plus embarrassés sont les Bulgares, qui ne savent plus trop où ils en sont, ce qu’ils veulent faire, ou plutôt ce qu’on leur permettra de vouloir. Aussitôt que le prince Alexandre a eu quitté le pays, la régence qui est restée provisoirement chargée de la direction des affaires à Sofia a fait appel à l’assemblée ordinaire de la Bulgarie, et les délibérations de ce malheureux parlement ne sont pas, il faut l’avouer, de nature à éclaircir les choses. L’assemblée, qui n’a eu que quelques jours de session, où se rencontraient Rouméliotes et Bulgares, a décidé, en définitive, la convocation d’une nouvelle assemblée plus ou moins constituante qui aura pour mission de régler les affaires du pays et au besoin d’élire un nouveau prince ; mais, en attendant, comme elle ne pouvait éviter de s’expliquer sur les derniers événemens, de rendre témoignage de l’opinion, cette assemblée de Sofia s’est livrée à une série de démonstrations passablement confuses. Elle a voté une adresse enthousiaste au prince de Battenberg, dont elle exalte « l’abnégation et le patriotisme sans exemple ; » elle a voté en même temps une adresse portant au tsar « les sentimens d’attachement et de dévoûment profond du peuple bulgare. » Elle a manifesté aussi la plus vive indignation contre « l’infâme » coup d’état du 21 août, en réclamant le châtiment exemplaire des coupables.