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tant que le grand allié du Nord, dont personne n’entendait se séparer, n’aurait pas dit le dernier mot. Or, pour obtenir ce dernier mot de ces lèvres augustes, nous déclarions avec empressement que nous entendions, de notre côté, accepter et respecter l’état de l’Europe, tel qu’il avait été réglé par le sort de la guerre et la foi des traités, en remplissant envers nos voisins toutes les conditions de bon voisinage : point de guerre, point de conquête, point de provocation révolutionnaire, tel était l’engagement que nous offrions volontiers, à charge d’entière réciprocité ; mais voilà qu’avant même d’avoir réponse, et comme pour nous prendre au mot, pour nous mettre en quelque sorte à l’épreuve, la révolution belge nous tombait sur les bras.

Que faire ! et quel n’était pas notre embarras ! Nous n’y étions pour rien, cela était évident, nous n’avions ni le dessein ni même l’envie de prêter appui soit à l’un soit à l’autre de deux adversaires, au fond cela n’était pas moins certain. Tant s’en fallait, néanmoins, que nous y fussions indifférons, puisqu’il y allait du maintien ou de la ruine d’un état de choses formé contre la France, de la destruction ou du maintien « d’une tête de pont placée ostensiblement à cheval sur notre frontière, » selon l’expression pittoresque ou, si l’on veut, soldatesque du général Lamarque. Mais, d’un autre côté, un tel établissement ayant été l’œuvre savamment préméditée du congrès de Vienne, nous courions grand risque, s’il venait à se trouver compromis, de voiries signataires de cet acte prendre fait et cause ; et quelle figure allions-nous faire, en ce cas, nous, pauvres révolutionnaires de la veille, s’il s’opérait une contre-révolution armée, sous nos yeux, à nos portes, une contre-révolution à notre dans et à notre barbe ?

Le temps pressait, nous étions officieusement avertis que le roi des Pays-Bas, même avant d’avoir tout à fait perdu la partie, s’était hâté de mettre, à tout événement, ses garans en demeure ; la position allait devenir intenable. Que faire, encore un coup ? C’était le cas de tout risquer, tout, dis-je, sauf l’honneur et le bon sens. Ce fut le principe de non-intervention qui nous tira d’affaire et devint notre planche de salut, toutefois en l’interprétant à la rigueur, ou même plutôt en aidant un peu à la lettre. Ce principe, comme chacun sait, est aux états ce qu’est aux individus le principe de la liberté personnelle. Je suis maître chez moi, nul n’a droit d’y pénétrer sans mon aveu ; j’y règle mes intérêts comme je l’entends ; nul n’a droit de m’en demander compte tant que je ne lui porte aucun dommage. Si mon voisin force ma porte et prétend se mêler de mes affaires, non-seulement j’ai le droit de repousser son ingérence, mais j’ai le droit, pour la réprimer, d’appeler à mon secours tout autre de mes