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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/781

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prussienne qui ferait mine d’entrer en Belgique y rencontrerait une armée française prête à lui disputer le terrain, et le pria d’en informer sa cour, sans lui laisser le moindre doute à cet égard. Là-dessus, grands cris, grand récri, grand tapage de démonstrations et de menaces ; mais il n’en fut que cela : l’armée prussienne ne bougea pas ; M. de Werther continua son intérim volontaire en attendant ses lettres de créance ; et le règlement de la question belge, après quelques vicissitudes inévitables en pareille crise, se trouva définitivement renvoyé à Londres et commis aux soins d’une conférence réunie depuis plusieurs mois pour traiter en commun des affaires de la Grèce. Pour un coup d’essai, ce n’était pas mal.

Je reviens à nos affaires intérieures. Sans nous trop émouvoir des agitations qui se manifestèrent, dès le lendemain du 11 août, dans le sein de la classe ouvrière, — agitations qu’on pouvait considérer comme la continuation d’un passé qui durait encore plutôt que comme le prélude d’un prochain avenir, — sans regarder de trop près au prix des bons offices que nous rendait, en cela, la popularité de M. de La Fayette et de M. Dupont (de l’Eure), nous cheminions, pas à pas, d’écueil en écueil. Nous n’apprîmes pas sans quelque consternation qu’à la clameur publique plusieurs des ministres fugitifs avaient été saisis et mis sous bonne garde : M. de Polignac, à Granville, au moment où il s’embarquait ; MM. Peyronnet, Chantelauze et Guernon-Ranville dans les environs de Tours. Il va sans dire qu’à nos risques et périls, nous eussions bien voulu l’éviter. Mais la chose étant faite, l’indignation était trop universelle pour qu’il nous fût possible de fermer les yeux sur une telle capture sans prendre fait et cause et devenir leurs complices : d’autant que le même jour, 13 août, M. Eusèbe Salverte avait déposé sur le bureau de la chambre des députés une proposition de mise en accusation, tandis que M. de Tracy, avec des intentions plus humaines, plus généreuses, mais analogues quant au fond, y déposait la proposition d’abolir la peine capitale.

Les prisonniers furent transférés à Vincennes dans la nuit du 26 au 27 août ; grâce à cette précaution, non-seulement leur personne fut en sûreté, mais les outrages et les imprécations leur furent épargnés.

Le surlendemain, le roi passa pour la première fois, au Champ de Mars, la revue de la garde nationale et lui distribua des drapeaux aux trois couleurs. Plus de soixante mille hommes armés et équipés de pied en cap s’y pressèrent autour de sa personne et répondirent par leurs acclamations à son appel. Ce fut pour tout le monde un jour de fête, et pour nous un jour de trêve.