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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/81

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protestant de la pureté de ses intentions. En même temps, il adressait à Molière quelques-unes de ces paroles pleines de sens et de bonne grâce, qu’il trouvait toujours dans l’occasion, et qui étaient regardées alors comme la plus insigne faveur. C’est Molière lui-même qui nous l’apprend : « Bien que, dit-il, ce m’ait été un coup sensible que la suppression de cet ouvrage, mon malheur pourtant étoit adouci par la manière dont Votre Majesté s’étoit expliquée sur ce sujet; et j’ai cru. Sire, qu’elle m’ôtoit tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu’elle ne trouvoit rien à dire dans cette comédie qu’elle me défendoit de produire en public. » Le roi faisait plus : il autorisait les lectures privées de la pièce, et dans une très large mesure. On put donc entendre Tartufe chez une grande dame amie de Port-Royal, — Mme de Longueville, peut-être, ou Mme de Sablé, — chez l’académicien Habert de Montmor, chez Ninon de Lenclos, un peu partout, à en croire Boileau, qui montre Molière allant de dîner en dîner réciter la pièce interdite et d’autant plus désirée. Il y eut assez de ces lectures pour qu’une bonne part de la société parisienne pût les entendre. Il y eut même de vraies représentations, devant des cercles fermés; ainsi à Villers-Coterets, pour Monsieur, au Raincy et à Chantilly, pour le prince de Condé. Le 5 août 1667, Molière interprétant, ce semble, avec beaucoup de liberté quelques paroles bienveillantes que le roi lui aurait dites en partant pour l’armée, prend sur lui d’afficher Tartufe, et l’on devine avec quel empressement le public se porte au Palais-Royal. Vite le président Lamoignon interdit une seconde représentation, et l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, lance un mandement par lequel il défend a de représenter, lire ou entendre réciter ladite comédie, soit publiquement, soit en particulier, sous quelque nom et quelque prétexte que ce soit, sous peine d’excommunication. » Ainsi Molière provoquait, en l’absence du roi, les rigueurs des deux plus hautes autorités de Paris ; scandale retentissant, dont tout autre que lui eût subi la peine. Le roi ne lui en témoigna aucune mauvaise humeur ; il ne leva pas sur-le-champ l’interdiction du président de Lamoignon, mais elle ne l’empêcha pas, non plus que le mandement de l’archevêque, d’accorder à la pièce une autorisation définitive, moins d’un an et demi après.

Entre temps, au mois d’août 1665, Molière avait risqué une autre pièce Don Juan, qui redoublait l’hostilité et les clameurs. On y voit d’ordinaire la continuation de la guerre engagée dans Tartufe; j’y verrais plutôt une manœuvre de Molière pour détourner en partie l’assaut de ses ennemis. En effet, ceux qu’il visait cette fois, c’étaient, avant tout, les incrédules, ou, comme on disait alors, « les libertins. » Depuis la Fronde et ses secousses morales, il y