l’amour, et il leur manque, pour régler leurs attachemens ou modérer leurs regrets, l’esprit de sacrifice et l’espoir d’une vie future. Molière, lui, « était né avec les dernières dispositions à la tendresse, » comme il le dit dans la fameuse conversation d’Auteuil. Cette tendresse se portait de préférence sur les enfans, qu’il avait toujours beaucoup aimés. Le rôle de Louison, dans le Malade imaginaire, où il fait parler une petite fille avec un naturel si rare, prouve qu’il les connaissait bien, et l’on devine l’affection qu’il portait aux siens par la longue scène de Psyché, où le roi déplore d’avance la perte de sa fille par une lamentation prolongée, parfois déchirante. Six ans avant Psyché, un de ses amis, La Mothe Le Vayer, qui faisait profession de philosophie et de force d’âme, avait perdu un fils de trente-cinq ans, homme d’une grande distinction. Le poète adressait donc au père un sonnet, accompagné d’une lettre de consolation, où il lui disait : « Si je n’ai pas trouvé d’assez fortes raisons pour affranchir votre tendresse des sévères leçons de la philosophie et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d’éloquence d’un homme qui ne sauroit persuader ce qu’il sait si bien faire. » M. Paul Mesnard conjecture qu’il pourrait bien y avoir ici une allusion aux inquiétudes éprouvées par le poète pour un fils, son premier-né, qu’il perdit quelques semaines après. En effet, les deux premiers quatrains du sonnet reparaissent dans la plainte de Psyché. Ainsi, le poète aurait bien vite éprouvé lui-même la douleur qu’il consolait chez autrui, et, à l’éloquence désespérée avec laquelle, six ans plus tard, sans nécessité dramatique, il fait parler une infortune semblable à la sienne, on devine la blessure toujours saignante qu’il avait gardée au cœur. Pour sa facilité à verser des larmes, il ne trouva que trop à l’exercer. Durant les quinze ans de son existence parisienne, l’a mort lui enlève ceux auxquels l’unissent les liens les plus étroits d’amitié et de parenté : en 1650, son camarade Joseph Béjart ; en 1660, son frère Jean Poquelin ; en 1664, son premier-né ; en 1665, sa sœur Madeleine Boudet ; en 1669, son père ; en 1672, son amie Madeleine Béjart et un second fils. Ces coups répétés et dont-tous, sauf un, atteignaient des enfans ou des personnes dans la force de l’âge, furent certainement pour quelque chose dans la tristesse que tous ses contemporains s’accordent à remarquer chez lui et qui complète sa physionomie morale.
Car il était triste, d’une tristesse silencieuse, assez étonnante au premier abord chez un homme dont le métier était de faire rire, et qui frappait d’autant plus ses contemporains. Sauf le souper à la