Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possible et l’éviction toujours facile. Le prix de fermage était ce qu’il voulait. Remarquez même qu’il pouvait se montrer indulgent sans y rien perdre ; il pouvait faire à son esclave les conditions les plus douces, n’exiger qu’une redevance très légère, presque nulle, lui permettre de vivre heureux et presque de s’enrichir ; car tout ce que l’esclave acquérait était acquis pour le maître, et, à la mort de cet esclave, le maître voyait rentrer dans sa main et le champ amélioré par le travail et tous les biens meubles ou l’argent de l’esclave. Ce maître avait pu être bon pour cet esclave sans qu’il lui en coûtât rien.

Telle est, si nous ne nous trompons, l’origine première du servage de la glèbe chez les Romains. Il se greffe en quelque sorte sur l’esclavage antérieur. Il est l’ancien esclavage qui se continue avec une seule modification. Le serf est le même homme que l’ancien esclave, mais au lieu de travailler en troupe, il travaille sur un champ particulier et suivant des conditions qui lui sont personnelles. Ce servage ne débute pas tout à coup comme institution générale ; il n’est encore qu’un fait individuel ; il est seulement une tenure servile. Cette tenure se produit dans l’intérieur d’un domaine, puis d’un autre domaine, et, peu à peu, on la trouvera dans tous. Notons encore un point : un maître n’a pas changé d’un coup tous les esclaves de son domaine en tenanciers. Nous verrons plus loin, en effet, qu’il est toujours resté sur chaque domaine un bon nombre d’esclaves travaillant en commun suivant la règle ancienne. C’est tel ou tel esclave qui, individuellement, a été changé en tenancier serf par la volonté de son maître.

La condition légale de cet homme n’était pas modifiée. En droit, il restait un esclave et aussi en gardait-il le nom, servus. Aucun article du Digeste, aucune loi des codes ne lui fait une situation spéciale. Le maître, en le plaçant sur une parcelle de son domaine, ne l’avait nullement affranchi. Il ne lui avait conféré aucun droit, n’avait renoncé à aucune partie de son pouvoir sur lui. Cet esclave n’avait pas plus que l’esclave ordinaire la protection des lois et des tribunaux. N’étant pas homme libre, il n’avait aucun recours contre le maître. Si ce maître lui reprenait son champ, il n’avait aucun moyen de lui résister. Esclave, il ne pouvait prétendre à aucun droit sur le sol. La terre qu’il occupait et cultivait, restait sans conteste la terre du maître. A sa mort, il est hors de doute que le maître la reprenait, comme il reprenait tout pécule. On sait bien que les enfans de l’esclave n’héritaient jamais de lui ; comment auraient-ils songé à hériter d’une terre qui n’était même pas à lui ? Mais, d’autre part, le maître dut s’apercevoir souvent que cette parcelle de terre était bien cultivée, vigoureusement labourée, que les animaux y étaient bien entretenus, qu’il n’y avait aucun gaspillage dans les récoltes. La petite redevance qu’il en tirait