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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/855

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visiblement beaucoup d’hommes qui ne sont pas pleinement libres, et qui ne peuvent être que des colons ou des affranchis.

Ces faits suffisent à montrer que la classe des affranchis fut, pendant toute la durée de l’empire, très nombreuse dans les campagnes. Il n’est pas douteux, d’ailleurs, qu’elle n’y fût dans un état de dépendance. Nous pouvons observer, en effet, que le jour où l’empereur Auguste voulut enrôler ces affranchis, il ne les prit pas directement lui-même, il ne leur enjoignit pas de venir donner leurs noms, comme cela se faisait dans l’enrôlement des citoyens ; il dut s’adresser à leurs propriétaires. Il obligea chacun de ces propriétaires, suivant le chiffre de sa fortune, « à donner » quelques-uns de ses affranchis. Cela implique que ces hommes étaient moins sujets de l’état que sujets d’un propriétaire. De même encore au IVe siècle, chaque fois que l’empire ordonne une levée de paysans, c’est aux propriétaires qu’il envoie ses ordres, et il fixe à chacun d’eux le nombre d’hommes qu’il doit donner. Le grand propriétaire fournit plusieurs conscrits ; plusieurs petits propriétaires s’unissent pour en fournir un. Ce mode de conscription est celui qui est usité dans les pays où les paysans appartiennent à des seigneurs. Nous arrivons donc à cette conclusion que, dans la société de l’empire romain, les affranchis composaient un des élémens de cette population d’un grand domaine qui vivait soumise au propriétaire du sol.

Pouvons-nous aller plus loin, et essaierons-nous de voir quelle était, dans l’intérieur du domaine, la condition spéciale de ces affranchis ? C’est ici que nous souhaiterions que l’antiquité nous eût laissé plus de renseignemens. Faisaient-ils partie de l’entourage du maître et de son service personnel ? Cela est certain pour quelques-uns, mais ceux-là ne formaient sans doute qu’une très petite minorité. Exerçaient-ils les fonctions d’intendant du domaine, de villicus, de procurator, et à ce titre dirigeaient-ils l’exploitation ? C’est ici une hypothèse qui doit être écartée ; le villicus, le procurator, tels que nous les voyons souvent chez les jurisconsultes, et plus souvent dans les inscriptions, n’étaient pas des affranchis, mais des esclaves. Il ne semble pas que les Romains aient en l’habitude de faire commander leurs esclaves par leurs affranchis. Ces affranchis du domaine, laboureurs pour la plupart, travaillaient-ils en commun dans le groupe servile ? Cette hypothèse encore est difficilement admissible. La demi-indépendance de l’affranchi le mettait certainement fort au-dessus d’un travail impersonnel au milieu des esclaves. Il ne reste plus qu’une supposition à faire : c’est que le maître qui les avait affranchis leur ait donné en même temps un petit lot de culture et en ait fait des tenanciers. C’est ici un point obscur qui, probablement, ne sera jamais éclairci. Les