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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/878

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analogies, nous ne saurions admettre que l’instinct soit du somnambulisme. Chez les animaux, il y a la même distinction que chez l’homme entre la veille et le sommeil. Les chiens, par exemple, rêvent ; ils rêvent chasse et, tout endormis, poussent des aboiemens comme s’ils apercevaient le gibier. Les animaux sont de plus soumis, comme l’homme, à certains états morbides du cerveau, à l’idiotie, à la folie, et même à certaines espèces de folie caractérisées. Enfin, le somnambulisme ne provoque dans l’imagination que le souvenir d’actes déjà accomplis une première fois et familiers au somnambule. Quant à l’hypothèse d’hallucinations natives, précédant l’expérience, on n’en peut citer aucun exemple. Toute représentation a pour antécédent nécessaire quelque perception individuelle. Une harpe éolienne, dont les cordes sont tendues de manière à produire telle harmonie déterminée, fera entendre son accord sous l’excitation du moindre souffle, mais ce n’est pas sous forme de son actuel que l’accord lui est inné. De même, l’enfant n’a qu’à ouvrir les yeux pour voir la lumière : l’organe de la perception lui est inné, la perception même ne l’est pas, bien que, pendant une infinité de générations, ses ancêtres aient en la perception permanente de la lumière. Nous croyons donc que ce ne sont pas les représentations mêmes qui sont innées dans l’instinct, mais seulement l’aptitude à les former dès que s’en présentera l’occasion. Cette aptitude implique seulement que certaines relations ou associations sont imprimées d’avance dans le système nerveux et établissent des communications plus faciles entre telles cellules qu’entre telles autres. Si les idées mêmes ne sont pas héréditaires, les relations ou associations des idées peuvent l’être en une certaine mesure. L’idée de l’eau n’est pas innée chez le jeune canard, mais la première perception qu’il a de l’eau trouve dans son cerveau des voies toutes tracées vers les organes moteurs présidant à la natation, si bien que le besoin de se mouvoir et de s’avancer sur l’eau s’éveille immédiatement, avec une émotion de plaisir corrélative. Le seul contact de l’eau suffit ensuite à mettre en mouvement le mécanisme préformé.

Comme exemple d’association innée jointe à l’émotion, on peut citer la peur instinctive. Les oiseaux des îles où l’homme n’a jamais pénétré n’ont point peur de lui : aux îles Galapagos et Falkland, Darwin fit tomber un faucon d’un arbre en le poussant avec le canon de son fusil et les petits oiseaux buvaient à une tasse qu’il tenait dans la main. Après un certain nombre d’expériences fâcheuses, la peur devient héréditaire et instinctive chez les oiseaux, c’est-à-dire que la perception de l’homme trouve, dans le cerveau des oiseaux, une communication tout ouverte vers le mécanisme de la fuite ; de là une impulsion à fuir et l’émotion corrélative à la fuite, c’est-à-dire la