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pas une fois sous un pont quelconque sans dire : « Mon cheval. » L’enfant et l’animal se répètent eux-mêmes, s’imitent indéfiniment et imitent les autres : tout tend à devenir chez eux manie et tic. La chose est d’autant plus frappante que l’enfant est plus jeune et a le cerveau plus vide. On sait que, si un enfant a pris une fois le sein de sa mère, il devient bien plus difficile de l’élever au biberon. Si on l’a bercé une fois pour l’endormir, il veut être bercé toujours. M. Romanes rapporte qu’une larve, ayant vécu quelque temps d’une espèce de plante, mourut plutôt que de manger d’une autre espèce, qu’elle eût pourtant parfaitement acceptée si elle l’eût rencontrée dès le début. L’animal est routinier, sa religion est traditionaliste et ritualiste. Il y a des idiots qui ont une faculté d’enregistrement machinal tellement grande qu’il leur suffit, comme on sait, de lire une page sans la comprendre pour la répéter ensuite d’un bout à l’autre. Qu’une femelle de coucou soit allée pondre une fois dans le nid d’autrui, elle n’aura pas manqué de recommencer, et cette action aura dû s’enregistrer dans sa tête avec autant de netteté que l’effigie d’une pièce de monnaie frappée par le balancier sur une surface rase. L’imitation machinale de soi-même, et aussi l’imitation d’autrui, ont dû jouer ainsi un grand rôle dans la formation des instincts. On ne saurait donc se représenter une « action, » surtout une action aussi importante que celle de pondre (qui assure la perpétuité de l’espèce), comme une petite ride sur l’eau aussitôt effacée que produite. Même les actions « accidentelles » peuvent devenir habituelles, puis héréditaires. M. Galton cite l’exemple d’un personnage sujet à une habitude étrange : lorsqu’il était étendu sur le dos dans son lit et profondément endormi, il élevait le bras droit lentement au-dessus de son visage jusqu’au niveau du front, puis le laissait retomber lourdement sur son nez. Son fils et une fille de ce fils héritèrent du même tic. Nous ne saurions admettre qu’on trace a priori des limites au pouvoir enregistreur et reproducteur de l’hérédité, quand celui d’un simple téléphone est déjà si remarquable. D’ailleurs, où aboutissent toutes ces objections ? Faut-il dire que c’est Dieu qui, par un fiat spécial, a ordonné au coucou d’Europe, mais non à celui d’Amérique, de pondre dans le nid des autres oiseaux et de jeter ensuite hors du nid ses frères adoptifs pour la plus grande gloire des causes finales ? S’il n’y a pas là intervention divine, il faut bien que l’instinct du coucou soit le produit des circonstances et de l’hérédité. Il ne s’agit pas plus d’expliquer dans le détail tous les instincts que d’expliquer dans le détail la forme de tous les organes : il suffit de comprendre qu’avec plus de renseignemens historiques et physiologiques tout deviendrait explicable.

Nous pouvons conclure des considérations précédentes que les