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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/928

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Aujourd’hui, le cœur de l’humanité bat d’un mouvement plus précipité ; grâce à la vapeur, à l’électricité, à la presse, idées et découvertes font vite le tour du monde, laissant partout leur empreinte, transformant les habitudes, les conditions de l’existence, les institutions, si bien qu’à l’expérience d’un peuple s’ajoute l’expérience des autres peuples, qu’une amélioration morale ou matérielle entre en quelque sorte dans un fonds commun où chacun peut puiser à son aise et se fait sentir d’un pôle à l’autre. La Suisse, depuis 1870 surtout, n’a pas échappé à cette invasion pacifique de la science : ses journaux si nombreux s’empressent de signaler à l’indignation publique les séquestrations arbitraires ; des sociétés spéciales se fondent tous les jours pour venir en aide aux aliénés indigens, les placer avantageusement, leur procurer du travail, un milieu convenable lorsqu’ils quittent l’asile. Si l’on consulte la statistique de la folie, on reconnaît que ce pays tient un rang honorable parmi les états européens : ses quatorze asiles publics et ses asiles privés contiennent ensemble 3,630 lits pour une population de 1,846,102 habitans, soit une place par 790 habitans, tandis qu’en général on compte 1 lit pour 1,000. Le docteur Fetscherin, directeur de l’asile de Saint-Urbain, ajoute ce renseignement intéressant : « Sur 7,700 malades admis de 1877 à 1881, il n’y avait pas moins de 923 alcooliques. »

Au rebours de la Suisse, deux autres petits états, la Belgique et la Hollande, vivent depuis longtemps sous l’empire de législations uniformes dont ils apprécient les bienfaits. Inspirée par notre loi de 1838, la loi belge de 1850 s’en distingue par plusieurs innovations remarquables : elle assimile à un asile « toute maison où un aliéné est traité, même seul, par une personne qui n’est ni son parent, ni son allié, ni son tuteur, curateur ou administrateur provisoire. » Tout en autorisant le traitement des aliénés dans leur famille, elle interdit de les séquestrer, si leur état n’a été constaté par deux médecins et le juge de paix du canton ; celui-ci doit renouveler ses visites une fois au moins par trimestre et se faire remettre, tous les trois mois aussi, un certificat du médecin de la famille ; il peut encore, lorsqu’il le juge nécessaire, faire visiter le malade par un autre médecin. En dehors des visites prescrites à certains magistrats, la surveillance est confiée à des comités d’inspection dans chaque arrondissement et à trois inspecteurs généraux qui, chaque année, publient un rapport détaillé, à l’exemple des commissioners in lunacy d’Angleterre et d’Ecosse. Cette loi péchait cependant sous deux rapports : elle abandonnait presque entièrement à l’industrie privée la création et l’entretien des asiles ; elle n’accordait au médecin qu’une position secondaire, presque subalterne.