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que M. de Freycinet pratique l’art des promenades et des manifestations opportunes. Il y a quelque sept ou huit ans déjà, à une époque où il n’était encore que ministre des travaux publics et où son ambition visait plus haut, il faisait un de ces voyages à fracas. Il allait dans le Nord, il allait aussi à Nantes et à Bordeaux. Il exposait alors avec effusion, avec une éloquence persuasive, les avantages de la république conservatrice et libérale, il paraissait être un continuateur de M. Thiers, de M. Dufaure ; il parlait d’un accent convaincu et pénétrant de la politique de modération. Voilà qui était au mieux et qui promettait ! Que s’est-il donc passé depuis 1878 ? les circonstances ont changé, M. de Freycinet, en homme de bonne composition, a changé avec les circonstances ; il a suivi le courant, et, par un miracle de souplesse, cet orateur de la république modérée, une fois arrivé à la direction des affaires, s’est trouvé présider aux œuvres les plus violentes de la république révolutionnaire, — à l’expulsion sommaire des communautés, aux persécutions religieuses, à l’amnistie, à la ruine des finances, aux épurations, aux lois d’exil. Voilà ce que deviennent les programmes dans la réalité ! Autrefois, quand c’était encore de saison, quand on n’avait pas tout livré, M. de Freycinet parlait de la république conservatrice et modérée ; aujourd’hui il a trouvé un thème nouveau : celui de la « concorde républicaine. » C’est le fond, l’essence du discours de Toulouse et des autres discours par lesquels il a voulu préluder à une session où il pourrait bien trouver plus d’une difficulté.

Ce qui distingue M. le président du conseil, c’est un optimisme calculé, doucereux et plein d’euphémismes, qui se promène à travers les contradictions, déguise avec art les vérités importunes et représente tout sous le plus beau jour. A entendre M. de Freycinet, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ! On ne voit partout que les signes « d’une confiance inébranlable dans l’avenir » du régime dont jouit la France. La république est aujourd’hui « plus forte qu’à son début, » elle a « devant elle des perspectives indéfinies. » Elle a comblé le pays de biens, répandu la lumière et la richesse à profusion, élevé le crédit national à un degré où il n’avait jamais été sous aucun régime ! Les républicains, malgré ce que l’orateur de Toulouse veut bien appeler « quelques écarts passagers, » ont été un parti sage, discipliné, habile à « se contenir, à se tempérer, à se modérer ! » Voilà pour le coup qui est rassurant, merveilleux, et fait pour flatter les républicains, qui ne se savaient peut-être pas doués de tant de vertus ! Il est vrai qu’un instant après, par une légère contradiction, M. le président du conseil se hâte d’ajouter qu’il faut bien prendre garde, qu’après tout l’œuvre n’est pas aussi complète qu’on pourrait le croire, qu’il y a pour le moins un tiers de la France qui n’est point du tout converti à la république et qui reste à conquérir. Ceci est un peu moins rassurant. C’est encore une tactique, une manière d’avertir les