Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le propre de la philosophie de M. Cousin était une conciliation de la raison et de la foi, ou plutôt une subordination complète de la raison à la foi. Rien n’est moins exact. M. Cousin ne faisait que se défendre quand il déclarait que sa doctrine n’était sur aucun point en désaccord avec la foi catholique. Il se plaçait, par une telle déclaration, non sur un terrain qui lui fût propre, mais sur le seul terrain où la philosophie universitaire pût se faire accepter. Personne alors n’aurait compris qu’on pût enseigner dans les écoles de l’état une philosophie contraire à la religion de la majorité des familles. J’ajoute que personne, aujourd’hui même, ne le comprendrait, en dehors de quelques sectaires. On ne réclame que la neutralité de l’enseignement philosophique. Or, la neutralité, sincèrement entendue et loyalement pratiquée, exclut l’hostilité.

M. Cousin, en répudiant pour sa doctrine tout désaccord avec la foi, ne faisait qu’obéir à une nécessité que tout autre aurait subie et subirait encore comme lui. Pourquoi donc ces protestations solennelles qu’il a si souvent et si abondamment répétées? Pourquoi ces corrections qu’il a infligées à ses ouvrages, pour que rien n’y parût démentir le respect qu’il professait si bruyamment pour tous les dogmes chrétiens? Est-ce donc que sa philosophie ait eu, à aucune époque, des audaces de doctrine ou de langage de nature à inquiéter les consciences religieuses? Non; même sous sa première forme, elle n’allait pas au-delà de ce panthéisme inconscient que l’on pourrait trouver chez plus d’un philosophe catholique et même chez des pères de l’église et des saints. Le reproche que l’on ferait plus volontiers aujourd’hui à la philosophie de M. Cousin est celui d’une excessive timidité. C’est contre ce reproche que M. Janet, dans la plus grande partie de son livre, s’est appliqué à la défendre. L’obligation d’affirmer et de justifier son orthodoxie n’a été pour lui qu’une conséquence de sa dictature philosophique: elle a disparu quand il a cessé de régner sur la philosophie universitaire et aujourd’hui elle paraît si peu motivée que cette orthodoxie, si contestée autrefois, semble le fond même et le trait dominant de sa doctrine.

L’orthodoxie de M. Cousin était, en réalité, toute négative. Nul philosophe n’a déclaré plus formellement et plus hautement que la philosophie ne relève que d’elle-même et qu’elle ne reconnaît pas d’autre autorité que la raison. Il n’accordait qu’une chose à la loi et il ne pouvait pas ne pas la lui accorder s’il voulait que sa philosophie fût enseignée dans les écoles de l’état : c’était l’absence de toute contradiction entre sa philosophie et la foi sur les questions essentielles. S’il s’est heurté à des exigences qu’aucun autre philosophe n’a eu à subir au même point, c’est qu’il prétendait personnifier